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les souvenirs parlementaires de la république, on n’avait vu pareille série d’embarras et de difficultés opposés à la tranquille élaboration des lois, ni un désir plus manifeste, plus obstiné, de brouiller toute discussion, d’aigrir tout débat. Dès les premiers jours de la session, on sut à quoi s’en tenir sur la tactique qu’avait adoptée la minorité opposante. Cela était d’autant plus regrettable que des projets ayant au suprême degré le caractère de l’utilité publique venaient d’être soumis à l’examen des chambres : le projet de loi sur l’instruction primaire, tendant à augmenter le budget des écoles ; celui qui doit réglementer l’établissement des banques ; la réforme du système tributaire, c’est-à-dire des usages qui règlent le rapport du propriétaire foncier et du travailleur agricole ; le régime de la salubrité publique, pour protéger les classes de la population où la mortalité sévit largement, et plusieurs autres projets, dus, pour le dire en passant, à l’initiative du gouvernement et conçus avec une remarquable intelligence des intérêts sociaux. Jamais peut-être meilleure occasion ne s’était présentée pour une coalition de prétendus réformateurs de montrer au pays, dans une discussion loyale et approfondie, quels étaient leurs plans, leurs idées et la supériorité de leurs lumières. Cependant ces projets dormaient aux archives pendant que la chambre, enchaînée par ses règlemens, perdait son temps à écouter les deux discours[1] que chaque membre avait à prononcer à propos des interpellations, des récriminations et de tous les incidens politiques incessamment renouvelés.

Pour forcer leurs adversaires à sortir de leur pernicieuse inertie, le gouvernement se décida à employer un remède qui pouvait devenir dangereux : il transporta la discussion sur le terrain de la politique actuelle et ardente, en présentant deux projets de loi, l’un réformant la loi électorale, et l’autre concernant l’organisation et les attributions des municipalités. Ces projets ne devaient pas avoir un meilleur sort que les autres. Les opinions extrêmes, accidentellement coalisées, n’auraient pu toucher les questions de principes sans se repousser, et par exemple, bien que la « décentralisation administrative » fût une des formules de l’opposition radicale, la presse de cette nuance avait à peine osé murmurer ces mots, comme si elle craignait de contrarier les antécédens et les véritables vues du parti conservateur.

Sur ces entrefaites, un capitaliste, le plus fort actionnaire et l’un

  1. Suivant le règlement des chambres chiliennes, tout membre doit prendre deux fois la parole dans chaque discussion non pas toujours pour prononcer deux discours, mais au moins pour exprimer son avis. Il ne faut voir là qu’un moyen d’éducation parlementaire, et c’est la garantie qu’on ne votera pas sans savoir de quoi il s’agit, comme cela est arrivé quelquefois en Europe.