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est un feu subtil et violent, et les fusions qui en résultent donnent parfois de monstrueux mélanges.

L’approche des élections, qui devaient avoir lieu en mai 1858, vint donner à la fusion des élémens extrêmes un caractère d’évidence que jusqu’alors on avait eu soin d’éviter par une sorte de pudeur. Dans la presse, les journaux en sympathie avec le gouvernement, et dans les cercles les citoyens qui étaient les interprètes du bon sens public, prirent à partie les libéraux rétrogrades, en les interpellant sur leur programme commun, sur l’avenir qu’ils réservaient au pays. Voulaient-ils la décentralisation administrative ? Oui et non. Voulaient-ils la liberté religieuse ? Oui et non. Voulaient-ils la refonte de la constitution, l’avènement de la pure démocratie, la suppression des derniers privilèges, enfin tout ce qui peut être un motif de discussion dans une république ? — Toujours des réponses complexes et évasives. — C’est qu’en effet aucun des deux groupes n’aurait pu formuler nettement un de ses propres principes sans révolter ses auxiliaires. Par exemple, des municipalités décentralisées qui donneraient toutes les campagnes aux pelucones, cela ne doit pas plus convenir aux libéraux que la liberté des cultes aux jésuites.

Il fallait pourtant une devise de combat à inscrire sur le drapeau. À défaut d’idées et de principes sur lesquels l’opposition coalisée ne parvenait pas à s’entendre, on se contenta d’un simple mot de ralliement, et l’on dit : « Ce que nous voulons, c’est la moralité administrative. » Dès cet instant, presque tous les griefs de l’opposition se réduisirent à un seul : la malversation des fonds publics. Les partisans du gouvernement furent qualifiés de logreros (usuriers, monopoleurs), et à défaut de charges positives on vint à parler de l’emprunt des 7 millions de piastres autorisé antérieurement par les chambres, pour l’achèvement des chemins de fer comme d’un butin magnifique que le pouvoir et ses partisans devaient se partager.

Tout cela n’empêchait pas le parti national de battre complètement ses adversaires sur le terrain des élections. Quinze députés seulement des deux oppositions réunies furent élus. Au sénat, l’épreuve fut plus défavorable encore pour les opposans. Cette assemblée doit être renouvelée par tiers tous les trois ans, et sept sénateurs des plus hostiles au gouvernement étaient arrivés au terme de leur mandat. Aujourd’hui le gouvernement croit pouvoir compter sur la plupart des nouveaux élus, de sorte que l’ascendant du parti national paraît définitivement assuré dans les deux chambres. Tout cela ne se fit pas sans un conflit, sans un déploiement de stratégie électorale soutenue de part et d’autre avec la plus ardente animosité. Par exemple, la loi exige, pour que l’élection d’un sénateur