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la décision, dans l’attente d’une éventualité en dehors de son domaine. Et d’ailleurs vouloir imposer par ce moyen un ministère de telle ou telle nuance au président de la république, c’était un procédé anormal, contraire à la lettre de la constitution. Malgré des observations aussi justes, la chambre haute persista dans son refus, et laissa finir la session. Un mois plus tard, un nouveau cabinet étant constitué, le pouvoir exécutif dut convoquer extraordinairement le congrès, et ce fut alors seulement que le sénat consentit à discuter et à approuver le budget.

Un autre incident, un vrai scandale parlementaire, va montrer jusqu’à quel point le sénat s’était laissé envahir par un esprit désorganisateur. La chambre des députés avait fait des modifications importantes à un projet de réforme électorale approuvé par le sénat. Le projet amendé ayant été renvoyé à l’examen de la première chambre, ces modifications furent rejetées. La chambre des députés crut devoir maintenir sa résolution en l’appuyant par une majorité comprenant les deux tiers des voix, condition requise pour que l’insistance en pareil cas soit valable. Le projet n’était donc point encore passé à l’état de loi, puisque la sanction d’une partie du corps législatif lui manquait. On vit néanmoins la majorité ultra-conservatrice du sénat, ces mêmes hommes qui avaient professé jusqu’alors non pas seulement un légitime respect, mais un culte idolâtrique pour la constitution de 1833, proposer tout à coup la violation de cette œuvre, donner ainsi l’exemple le plus dangereux au milieu de la fermentation des esprits, le plus imprudent au point de vue de leurs propres intérêts. Ce projet, non encore adopté légalement, ils le présentèrent au président, en insistant pour qu’il le promulguât. La chambre des députés, comme on devait s’y attendre, protesta énergiquement contre cette tendance du sénat à envahir tous les pouvoirs nationaux. Le président, bien entendu, refusa de s’associer au petit coup d’état des pelucones, et il me semble qu’il a rendu un vrai service à l’aristocratie sénatoriale, en évitant un précédent qui plus tard eût été infailliblement retourné contre elle.

L’opposition dans l’ordre parlementaire n’était représentée que par l’élément pelucon. Au contraire, dans la presse et dans les cercles politiques, les adversaires du pouvoir appartenaient en majorité au parti libéral. Il faut connaître la signification historique de ces mots au Chili[1] pour apprécier tout ce qu’il y a d’imprévu et d’anormal dans une pareille confraternité ; mais la passion politique

  1. Au Chili, on donne le nom de libéraux aux progressistes exaltés et aventureux qui ont engagé la lutte révolutionnaire de 1851. Si l’on conservait à ce mot le sens restreint et modéré que nous lui attribuons en Europe, on pourrait dire qu’au Chili à part les adhérens au jésuitisme tout le monde est libéral.