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Un tel point de vue peut-il s’appliquer à l’étude des religions ? Nous le croyons sincèrement, et c’est ce qui nous fait désirer plus vivement encore une intervention sérieuse de l’esprit français dans un si riche domaine. Il importe trop d’ailleurs de démontrer comment de telles idées s’appliquent aux études religieuses pour qu’on n’entre pas à ce sujet dans quelques développemens.

La religion est chose de l’esprit. Les religions, c’est-à-dire les formes variées qui ont tour à tour ou conjointement servi d’expression au sentiment religieux, doivent être rangées par conséquent dans la catégorie des phénomènes de l’esprit, et elles réclament une étude à part au même titre que les faits politiques, les législations, les littératures, les philosophies. Un coup d’œil même superficiel suffit pour montrer que l’arbitraire n’a pas plus de place dans ce genre de phénomènes que dans les autres. Le XVIIIe siècle, qui attribuait les religions à l’astuce des prêtres, ou du moins à l’habileté des gouvernans, oubliait de s’enquérir de l’origine des prêtres et de rechercher sur quelle religion préexistante les habiles politiques des temps primitifs avaient pu spéculer pour en venir à leurs fins. C’était une étrange pétition de principes qui tenait, comme beaucoup d’autres erreurs du temps, à l’idée qu’une foi religieuse peut s’implanter du dehors sans être produite par un développement intérieur et antérieur. C’était l’erreur fondamentale du Contrat social, reportée du domaine civil dans le domaine moral. Jamais il n’a été possible de faire une religion ; c’est la religion qui se fait. L’homme est religieux, comme il est,intelligent, comme il est moral, comme il est sociable, non parce qu’on l’a fait religieux, mais parce qu’il l’est devenu, parce qu’il l’est en lui-même. Aussi loin que l’humanité remonte dans ses souvenirs, elle a conscience d’avoir toujours regardé vers l’absolu comme vers l’aimant mystérieux dont elle subit, dont elle recherche l’attraction, lors même qu’elle en a peur.

Oui, l’homme, en s’éveillant sur la terre, a senti naître en lui, du fond le plus caché -de son être, une disposition merveilleuse, celle de s’émouvoir et de se prosterner devant ce qui lui révélait la vie infinie dont la sienne dépend. Aux jours de la première ignorance, il adorait la montagne, la mer, la forêt, tout ce qui lui représentait l’absolu. Plus tard, dominé par un pressentiment obscur de la présence de la Divinité dans tout l’univers, il choisissait le premier objet venu pour en faire son fétiche. Souvent il adorait une force, selon nous, brutale et stupide, mais qui pour lui était prodigieusement intelligente, la force animale dans ses manifestations les plus terribles. C’est dans les religions que l’homme est à la fois et au même instant ridicule et sublime, plus bas que la brute et plus