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quand je serai parti, ouvrez mon basset et partagez entre vous tout ce que vous y trouverez d’effets et d’argent. — Le lendemain, avant l’aube, il partit à petits pas par la porte du jardin, franchit la haie qui l’entourait et s’élança à travers champs. Comme il traversait la grande prairie au chiron, les bœufs couchés dans l’herbe se levèrent, croyant qu’il venait les quérir comme de coutume, et marchèrent à sa rencontre. Le métayer les caressa doucement de la main, les contempla quelques secondes le cœur gros, les larmes aux yeux, sans pouvoir se résoudre à quitter ces rudes et dociles compagnons de ses travaux journaliers. Tout à coup l’alouette chanta, le soleil montra son disque rouge à travers les aulnes, et le chien de garde, le vieux l’Abri, apparut dans le lointain flairant l’herbe pour chercher la piste de son maître. Le premier rayon du matin, c’est la vie, l’espérance, et non l’heure de l’adieu éternel ! Le grand Louis, suffoqué par une émotion qu’il ne pouvait vaincre, chancela comme un athlète blessé ; puis, luttant avec un redoublement d’énergie contre cette défaillance subite, il se mit alors à courir de toute sa force ; sautant par-dessus les haies et les fossés, il se sauva tout en pleurs, la tête en feu. La Gaudinière, avec ses champs et ses prés, disparut bientôt derrière les collines. Quand il ne vit plus rien de ce qui lui rappelait tant de chers ou douloureux souvenirs, Louis recouvra un peu de sérénité. Le chapelet à la main, il chemina d’un pas assuré, et marcha ainsi durant quatre longues heures. Arrivant enfin à la lande de Bégrolle, il découvrit les murs du couvent des trappistes de Bellefontaine. C’était l’asile vers lequel il se dirigeait, le lieu où depuis bien des années il était tourmenté du besoin d’aller s’ensevelir. À lui, pauvre paysan, il fallait une retraite plus absolue que celles du Bocage, une solitude sans horizon, une vie sans sourire. Il secoua ses souliers poudreux sur le seuil du cloître, et leva le marteau de la porte, qui s’ouvrit pour se refermer sur lui. Il était de ceux qui aiment mieux mourir à eux-mêmes que de vivre dans une inutile souffrance.

Un an après le jour où Louis de La Gaudinière entrait au couvent de Bellefontaine, Marie de Boisfrénais épousait un gentilhomme des environs de Châtillon, dont le père avait acquis une certaine illustration dans les guerres de la Vendée. En faisant ce mariage, Mlle de La Verdière stipula que sa nièce viendrait, avec son mari, habiter auprès d’elle au moins six mois de l’année. Elle ne pouvait consentir à se séparer tout à fait de celle que la Providence lui avait rendue pour consoler ses vieux jours.


TH. PAVIE.