Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/820

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Très bien ! répondit Mlle de La Verdière ; faites que l’on apporte un bouillon. Approchez un fauteuil pour que je fasse asseoir cette pauvre vieille…

On fit descendre Jeanne de la charrette, on la plaça dans le fauteuil. La vieille folle semblait anéantie ; elle pleurait, la tête penchée sur sa poitrine. Mlle de La Verdière s’empressa de lui faire avaler quelques cuillerées de bouillon. — Marie, ma chère nièce, disait-elle en cherchant celle-ci du regard, venez donc m’aider à faire manger Jeanne. — Marie, surmontant à grand’peine l’effroi que lui inspirait la vieille folle, prit à son tour la cuiller, et Mlle de La Verdière s’assit auprès de la pauvre femme en lui tenant les mains.

— Jeanne, ma bonne Jeanne, lui demanda-t-elle, comment vous trouvez-vous ? — Parlant ainsi, elle contemplait avec une pitié profonde cette femme à demi morte, privée de raison, épuisée de fatigué et de misère, et qui mangeait encore avec une certaine avidité, comme l’animal que soutient jusqu’au bout l’instinct de la conservation.

— On m’a volé mon trésor, répondit Jeanne à demi-voix ; si c’est vous qui me l’avez pris, rendez-le-moi !… Il n’y a donc pas de bleus par-ici, puisqu’on y trouve encore à manger ?…

— Jeanne, reprit Mlle de La Verdière, regardez donc ce portrait là-haut : reconnaissez-vous cette dame-là ?

— Je ne vois rien, reprit la vieille ; laissez-moi donc dormir un peu, et puis après je me remettrai en route… J’ai peur quand je ne suis point dans les bois…

— Vous étiez au combat de Dol, ma bonne Jeanne ?

— Oui, j’y étais,… et bien d’autres, qui n’en sont pas revenus…

— Et la petite… vous savez bien ?…

— La petite… Ah ! mon Dieu, j’ai perdu mon trésor ! Pauvre petite !… Et quand la paix viendra, je ne serai plus de ce monde pour te dire mon secret… File, ma chérie, file derrière tes ouailles !… Les bleus, les bleus ! laissez-moi partir.

— Jeanne, continua Mlle de La Verdière, elle ne file plus, la petite, elle ne mène plus les ouailles !… Les louis d’or, les parchemins, tout est trouvé, entendez-vous ?…

— Ah ! on voudrait me faire parler, mais je ne le veux pas ! Laissez-moi tranquille ! dit la vieille en prenant son bâton de houx. Pourquoi m’a-t-on amenée ici ?…

Elle essaya de se lever, mais ses forces l’abandonnèrent, et elle retomba sur le fauteuil en poussant un gémissement plaintif. — Ma bonne Jeanne, vous resterez ici avec nous, reprit Mlle de La Verdière ; nous aurons bien soin de vous dans vos vieux jours. Laissez là votre bâton ; votre main, donnez, que je la baise, cette main qui