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Gaudinière. Ici ils ne lui feront point défaut non plus, et elle trouvera la richesse, le repos, le bien-être… Tenez, mademoiselle, ajouta le jeune homme en se levant les larmes aux yeux, il aurait mieux valu tout de même que j’eusse découvert tout cela dix ans plus tôt.

Mlle de La Verdière regarda avec étonnement le visage pâle et troublé du jeune paysan ; puis, se retournant vers Marie, que ces paroles naïves avaient fait rougir : — Il a raison, ajouta-t-elle sans paraître comprendre ; on aurait pris à La Gaudinière une fille plus forte que Marie, mieux propre aux travaux des champs, et qui eût rendu plus de services. N’est-ce pas cela que vous voulez dire, mon ami ?

Le pauvre Louis, honteux et confus, passa gauchement sa main sur ses longs cheveux bruns sans oser répondre. Après un moment de silence, il tira le bras de la vieille Jacqueline, en lui disant tout bas : — Partons, ma mère ; allons-nous-en, tout est fini. — La métayère fit une révérence, Louis ôta son chapeau, et ils se retirèrent à reculons, en saluant toujours. Mlle de La Verdière reconduisit Jacqueline et son fils jusqu’à la dernière marche du perron. Debout à côté de sa tante, Marie les suivit des yeux. Lorsque Mlle de La Verdière fut rentrée au salon, la jeune fille courut à moitié chemin de la longue allée, et Louis s’étant retourné vers le château : — Adieu, la métayère ! adieu, Louis ! répéta-t-elle à plusieurs reprises en leur faisant signe de la main. À ce moment suprême, il lui sembla que La Gaudinière, assise au soleil sur un coteau, était plus riante que ce grand manoir caché sous l’épais et sombre feuillage. Elle songea presqu’avec regret, et non sans mélancolie, à ces champs tranquilles où s’étaient écoulées ses jeunes années dans l’abnégation et le travail. Le cœur humain a de ces retours inattendus, de ces attendrissemens subits qui l’honorent ; la réflexion et l’amour-propre les arrêtent et les calment toujours trop tôt ! A peine rentrée au salon, Marie se trouva si bien dans un bon fauteuil, les pieds sur un tabouret, qu’elle ne put s’empêcher de sourire d’aise. Pour la première fois de sa vie, elle fixait ses regards sur une large glace où sa personne se reflétait complètement.

— Ma chère enfant, dit Mlle de La Verdière, défiez-vous de cette glace. Le jour où vous vous y verrez avec les vêtemens qui conviennent à votre rang, elle vous dira peut-être que vous êtes jolie ; elle l’a dit à bien d’autres !… Tenez, avant que je vous installe dans ce château, j’ai encore un devoir à remplir. Tirez le cordon de cette sonnette, s’il vous plaît.

Marie sonna. Un vieux domestique parut le chapeau à la main ; ses cheveux blancs, attachés par un cordon noir, formaient une queue qui se promenait sur le col de sa veste. — Bastien, lui dit Mlle de La Verdière, sellez votre meilleur cheval, prenez avec vous