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moi en face, regardez votre tante, et jetez un coup d’œil sur ce portrait ! C’est celui de votre mère à l’âge, que vous avez maintenant, et en vérité on dirait que c’est le vôtre !…

— En conscience, c’est la même coiffure et le même visage, dit Louis avec émotion.

— Pauvre sœur ! murmura Mlle de La Verdière, il me semble que je la vois encore, jeune, croyant à un heureux avenir !… — Puis, s’adressant à la métayère : — Votre mari était à la grande armée sans doute ?…

— Oui, madame, il a été tué au combat de Dol avec M. de Boisfrénais, le père de votre nièce… Il était capitaine de paroisse, mademoiselle…

— Embrassons-nous, ma bonne femme, embrassons-nous ; nos proches ont versé leur sang pour la même cause, ils ont eu là-haut la même récompense… Marie, ma chère nièce, remerciez la Providence d’avoir passé vos jeunes années dans cette honnête famille…

— Dame ! reprit la métayère, elle n’y était guère bien. Je l’ai élevée un peu sévèrement !

— Tant mieux, tant mieux,… répondit Mlle de La Verdière ; j’aurai moins à faire pour achever son éducation… Et la petite est obéissante, docile ?…

— Elle n’a jamais été rétive, la pauvre enfant. Je lui reprochais quelquefois de se montrer un peu molle au travail. Que voulez-vous, mademoiselle ? elle n’était point née pour cela, elle le sentait bien, à ce qu’il paraît…

— Laissez parler la métayère, jeune homme, dit Mlle de La Verdière : en s’adressant à Louis, qui cherchait à mettre un terme aux franches explications de sa mère. — A quel travail occupiez-vous ma nièce ?

— Dame ! que voulez-vous, mademoiselle ? nous l’occupions aux petits ouvrages des champs, sans trop la fatiguer à cause de son… infirmité… Elle filait et menait les ouailles…

— Très bien ! Hé, ma nièce, ne rougissez point de ces occupations pastorales, qui n’ont rien de déshonorant. La reine se plaisait à traire elle-même ses vaches à Trianon, et toutes ses dames l’imitaient. Dans tout le cours de votre vie, vous ne ferez peut-être plus rien qui vous élève à vos propres yeux autant que d’avoir su gagner votre pain à la sueur de votre front. Remerciez avec moi ces braves gens qui ont entouré votre enfance de soins désintéressés et votre première jeunesse de sages exemples…

— Vous êtes trop bonne, mademoiselle,… balbutia la mère Jacqueline.

— Pour de bons conseils et de bons exemples, continua Louis, ils ne lui ont point manqué ; nous n’avions que cela à lui donner à La