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les abords de la science. En ce moment, les œuvres de MM. Guigniaut, Maury, Michel Nicolas, Munk, Colani, Renan, continuent avec un grand bonheur l’édifice commencé. Évidemment, pour les questions religieuses, le temps du silence respectueux est passé. Les ouvrages philosophiques de ces dernières années se distinguent surtout des ouvrages antérieurs par la large part qui est faite à l’élément religieux de l’âme humaine. On a vu des recueils périodiques, des feuilles quotidiennes même, s’ouvrir de plus en plus à des travaux inspirés par le même intérêt. Qu’il me soit permis de citer quelques noms encore, MM. Montégut, E. Laboulaye, le regrettable M. Rigault. Le recueil où j’écris n’a pas été sans contribuer pour une grande part à ce renouvellement de la science religieuse nationale. Les travaux de M. de Rémusat, entre autres, sont une des meilleures preuves de ce mouvement fécond, et la sympathique attention qu’ils ont éveillée en dehors des frontières pourrait démontrer aux plus incrédules que les écrivains français savent se faire écouter de tous, et même mieux que d’autres, quand ils parlent des choses religieuses en connaissance de cause, avec l’indépendance et la largeur d’un esprit vraiment philosophique.

Tout en reconnaissant ce qui nous a manqué pendant longtemps, il semble donc opportun d’indiquer ce que nous sommes aujourd’hui en voie d’acquérir. J’ai bien des fois entendu dire de l’autre côté du Rhin : « Si la France savait et si l’Allemagne pouvait ! » En fait, nous avons été trop longtemps détournés des études religieuses ; nous ne pouvons reconquérir le terrain perdu qu’à force de labeurs et à la condition de subir une espèce de torture intellectuelle sous la discipline d’écrivains étrangers qui ne parlent pas notre langue et pensent encore bien moins nos idées. Néanmoins, lorsqu’une fois il a pu acquérir l’érudition, l’aptitude critique, l’esthétique religieuse, si l’on peut ainsi nommer le talent particulier d’apprécier les choses religieuses de la manière et selon la mesure qui leur conviennent, l’esprit français est le mieux préparé du monde pour en tirer des résultats solides et surtout pour leur donner cette forme attrayante qui est seule capable d’initier aux mystères de ce monde supérieur ceux qui n’en ont pas fait leur étude spéciale. Moins idéaliste que l’esprit allemand, moins positif que l’esprit anglais, amoureux de la mesure, mais aussi de la beauté, ne pouvant consentir à séparer la science de l’art, l’esprit français sera le conquérant du monde toutes les fois que le fond vaudra la forme, que le travail aura précédé l’art. Le moment actuel est d’autant plus favorable que l’Allemagne, encore très active, si nous la comparons à nous, passe par une période relative d’inaction, si nous la comparons à elle-même. Quant au monde anglais, il ne fait, à vrai dire,