Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/788

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vertes collines qui s’élèvent en amphithéâtre, et dont les pentes s’abaissent doucement recouvertes d’arbres, de cultures et de maisons de campagne. Il en résulte que de presque chaque rue les habitans ou les promeneurs peuvent se consoler par la vue des champs ou des hauteurs boisées. Il y avait même autrefois des forêts autour de Sheffield ; l’industrie les a détruites ; il lui fallait du charbon de bois, charcoal, pour fondre le fer. On a observé que ce minerai se trouvait surtout en abondance dans les endroits couverts, et que la nature avait enrichi les forêts pour leur propre ruine. Si les environs de Sheffield ont perdu beaucoup de bois, le sol s’y montre encore très riche en minéraux, tels que le fer, la houille et la pierre. C’est même a cette dernière circonstance qu’il faut rapporter l’origine des fabriques et le caractère industriel des habitans.

Je ne dirai qu’un mot sur l’histoire de la ville. Sheffield se trouvait autrefois dominée par un château qui servait de résidence aux lords du Hallamshire. Avec le temps, ce château se vit en quelque sorte bloqué par le développement des manufactures et des usines. C’était la lutte entre le système féodal et la puissance nouvelle de l’industrie ; l’une devait vaincre l’autre : ce fut l’industrie qui triompha. En 1647, à la suite des guerres entre le parlement et le parti royaliste, un ordre de la chambre des communes provoqua la démolition de l’ancien château, dont il ne reste plus aujourd’hui que quelques voûtes. La plus grande partie du territoire de Sheffield n’en est pas moins possédée à cette heure par un descendant des lords du Hallamshire, le duc de Norfolk. J’ai vu dans la ville un manoir bâti en brique auquel on donne le nom de Lord’s House, mais sa seigneurie habite surtout pendant l’été le magnifique château d’Arundel. Comme c’est un principe de l’aristocratie anglaise de ne jamais se dessaisir de la terre, le lord actuel concède des parties de ses vastes domaines pour vingt et un ans, quatre-vingt-dix-neuf années ou même neuf cents ans, selon la nature de la propriété foncière [estate). Neuf cents ans ! Le moyen de n’être point frappé par ce sentiment d’éternité qui distingue dans la Grande-Bretagne les familles nobles ? On ne doit pourtant point admettre aveuglément les idées faites qui courent en France sur les privilèges de l’aristocratie anglaise. Lorsque j’arrivai dans les îles britanniques, je m’attendais, sur la foi des livres, à n’y rencontrer que des châteaux et des chaumières, des seigneurs et des pauvres. Il ne faut point un long séjour dans le pays pour se convaincre que la force de la nation et le gouvernement des affaires publiques résident au contraire dans les mains de la classe moyenne. C’est surtout à Sheffield qu’on peut se faire une idée de la puissance créée par l’industrie. Les propriétaires d’usines et de grandes fabriques, ces lords de l’acier (steel-lords), rivalisent