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épars au milieu des champs et situés dans le voisinage des mines ou des sources de sel, abritent une population laborieuse. Ces cottages de brique ont entre eux un air de famille et annoncent bien le niveau des conditions sociales. Un jardin cultivé souvent par la main des femmes, quelques poules et l’ami indispensable de la maison, un brave porc, ajoutent un air d’aisance et de bien-être rural à l’habitation du mineur. Ces toits si calmes au milieu d’un paysage tranquille cachent pourtant plus d’une scène douloureuse. Quand le mari s’attarde, la femme tremble ; elle craint que la chaîne du puits ne se soit brisée, ou qu’un quartier de roche, en se détachant, n’ait blessé son mari. Ce sont en effet des catastrophes trop communes à tous les ouvriers mineurs. À la porte d’un cottage, j’avisai une femme d’une trentaine d’années vêtue d’une simple robe noire en laine et coiffée d’un bonnet de veuve qui encadrait un profil agréable, mais amaigri. Une grappe de raisin en bois suspendue au-dessus de la porte[1] m’apprit que cette veuve tenait un petit débit de bière, et que je pouvais entrer. M’étant assis, je lui demandai par quel accident elle avait perdu son mari. « C’est, répondit-elle, une histoire connue de tous les mineurs du voisinage. Mon mari, — que Dieu donne le repos à son âme ! — travaillait depuis l’enfance dans une fosse de sel, salt-pit, dont vous pouvez voir d’ici les bâtimens et les cheminées. La première fois qu’il me paya ses attentions[2], c’était dans une fête qui se célébrait le lendemain de Noël au fond de la mine et où il y avait plus de mille chandelles allumées. J’avais alors dix-sept ans, et l’on me trouvait jolie ; lui avait vingt-deux ans, il était fort regardé à la ronde par les jeunes filles. Je crois que notre amour en naissant rendit jaloux un des esprits qui habitent dans l’intérieur de la terre. Il faut vous dire en effet que c’est une mine hantée, a haunted mine. Cette dernière circonstance était bien connue de ma grand’mère. La vérité est qu’à travers la musique j’entendis murmurer à mon oreille des bruits étranges et que mon cœur battait très fort. Je sortis de la mine avec un grand trouble. Quelques jours après, je promenais vers le soir ma chèvre dans la campagne, quand je rencontrai William (c’était son nom), qui revenait des travaux. Il m’aborda, et comme j’étais confuse, je levai les yeux ’ au ciel, où j’aperçus la nouvelle lune. « William, lui dis-je, passez-moi bien.vite une pièce d’argent, » car je n’en avais pas dans la poche de mon tablier. Il m’offrit sa bourse de cuir en ajoutant qu’elle était mienne, si je voulais l’accepter, « Ce n’est pas cela, lui répondis-je ; mais j’ai besoin de faire un souhait. » Je tournai

  1. C’est l’enseigne des beer-shops dans tout le Cheshire.
  2. Locution anglaise.