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sur le rivage de la mer : il excite la soif et l’appétit. Les mineurs du Cheshire qui ne commettent point d’excès atteignent la moyenne ordinaire de la longévité. Par malheur, la tentation est forte : ces hommes ont, disent-ils eux-mêmes, un diable dans le gosier, et, comme leurs salaires sont assez élevés pour la campagne, ils exorcisent trop souvent l’esprit malin avec un verre d’ale ou de porter. Dans la voiture qui me conduisit de Northwich au chemin de fer se trouvait une jeune fille, qui, venue de loin pour embrasser son frère, ouvrier dans les mines, s’en retournait les larmes aux yeux : elle n’avait pu voir que les murs de la prison où ce frère, honnête homme d’ailleurs, s’était fait renfermer à la suite de désordres provoqués par la boisson. Je ne voudrais pas qu’on jugeât par ce fait isolé les mœurs de tous les mineurs de sel ; mais je tiens d’un ministre protestant de la localité, le révérend M. Waller, que la prévoyance et la sobriété sont les vertus les moins pratiquées par ces hommes, qui sortent altérés de la fosse. Quoique plus civilisés que les colliers (ouvriers des charbonnages), les mineurs de sel laissent encore beaucoup à désirer sous le rapport de l’instruction. Ils ont peu profité jusqu’ici des sources de développement moral ouvertes à Northwich et dans d’autres villes par la bienfaisance publique. La race saxonne a dans les veines une goutte du sang des Titans ; rien ne l’arrête, rien ne l’effraie dans la conquête du monde physique ; elle porte de superbes défis à la nature, creuse les montagnes, entame les roches et jette à la face du ciel les richesses arrachées du sein de la terre ; mais cette race aux bras forts devient tout à coup timide dès qu’il s’agit de toucher aux usages reçus. Peut-être faut-il voir dans cette dernière circonstance une sage économie de la nature, qui a su mettre des freins et des contre-poids à l’audace de certaines familles humaines. Le groupe des mineurs se distingue encore plus que les autres branches de la société anglaise par un attachement tenace aux coutumes et aux traditions du passé. Il est rare qu’ils prennent l’initiative d’aucune mesure tendant à améliorer leur condition. Leur temps, j’oserais presque dire leurs affections, se partage entre la mine, à laquelle ils sont de bonne heure fiancés, et la vie de famille.

Il y a quelques années, on employait beaucoup de femmes dans les salines du Worcestershire. La nature pénible des travaux, l’état de demi-nudité qu’ils exigent, sont pourtant tout à fait incompatibles avec certains sentimens de délicatesse. Une réforme introduite par M. Corbett, entrepreneur de salines, et secondée par le clergé anglican, a aujourd’hui limité le nombre des femmes occupées dans les salt-works. Rien de semblable n’existe dans le Cheshire, où les femmes se contentent de soigner leur ménage. Des groupes de maisons,