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dans la mer à Liverpool. Parmi les autres mines du Cheshire, je dois signaler celles de Wilton et de Nantwich[1]. À Wilton, j’ai visité les plus beaux et les plus gigantesques ouvrages de ce genre qui existent, je crois, en Angleterre. Figurez-vous un édifice circulaire de 108 mètres de circonférence, dont le toit ou la voûte s’appuie sur vingt-cinq piliers d’une dimension énorme. Illuminées aux chandelles, ces masses de sel solide produisent un effet auguste et ravissant. Le voyageur stupéfait ne sait ce qu’il doit admirer le plus ou de ces richesses souterraines de la nature, ou du caractère titanique des constructions. Il ne faut pas non plus oublier Droitwich (dans le Worcestershire), qui produit le sel le plus blanc qui existe dans le monde. La ville de Droitwich était connue des Romains. Elle envoie aujourd’hui par le canal d’immenses quantités de sel qui, n’étant point secouées par le mouvement de la mer, arrivent à Londres dans les meilleures conditions, c’est-à-dire sous forme de briques de neige au grain fin et scintillant. À Londres, le grand entrepôt de cette denrée se trouve dans City Road, où, du haut du pont qui traverse le canal, vous pouvez voir les wharfs et les magasins de sel. Il y a d’autres établissemens du même genre dans Wapping et près du marché de Billingsgate. Sur ces différens théâtres de travaux, on est à même de se faire une idée du lien qui existe entre la géologie des îles britanniques et la prospérité commerciale de la nation anglaise. Les sources et les mines inépuisables du Cheshire et du Worcestershire fournissent du sel à plusieurs états de l’Europe et de l’Amérique. Les Anglais exportent surtout cette marchandise dans les Pays-Bas, en Prusse et en Russie. On estime à cinq cent mille tonnes la production annuelle du sel en Angleterre[2]. Le capital qui fonctionne dans les fabriques est, dit-on, de 1 million de livres sterling, et l’on évalue à dix ou douze mille au moins le nombre des ouvriers que cette industrie fait vivre.

L’exploitation des mines de sel nous amène à parler de la vie des mineurs. Ces derniers forment une corporation très distincte, qu’il ne faut point confondre avec celle des ouvriers qui travaillent dans les fosses de charbon de terre. D’abord le séjour dans les mines de sel est beaucoup moins pénible et beaucoup moins dangereux que dans les autres ateliers souterrains de la Grande-Bretagne. L’air y est sec et salubre ; on se plaint même de ce qu’il soit trop bon, car on dit que cet air salé produit l’effet des brises qu’on respire

  1. C’est à Nantwich que la veuve de Milton passa les dernières années de sa vie et mourut dans un âge avancé en 1726.
  2. Je ne citerai le résultat que d’une seule année. En 1844, 13,476,884 boisseaux de sel blanc ou à l’état brut ont été exportés ; l’Angleterre retint cette même année pour sa consommation intérieure 12,647,616 boisseaux.