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l’importance de la mine. Dans celle que j’étais en train de visiter, cinquante hommes extraient chaque semaine quinze cents tonnes de sel brut et reçoivent par jour un salaire de 3 shillings 6 pence ; ce sont les ouvriers qui transportent eux-mêmes les débris tombés de la roche. Dans d’autres mines, on emploie des chevaux, des poneys et des ânes à traîner les blocs de sel sur un petit chemin de fer. Ces animaux ont été introduits jeunes dans la fosse, ils n’en remontent que pour être abattus ; pendant les heures de repos, ils habitent une écurie taillée dans la roche de sel gemme.

Nous revînmes vers l’entrée de la mine par un autre chemin que celui que nous avions suivi pour en atteindre l’extrémité. Quoique le temps qu’on passe dans ces lieux souterrains ne soit pas très long, et malgré l’intérêt très réel que présentent des tableaux si grands de l’industrie humaine, l’âme se sent oppressée par la nuit comme par un manteau de plomb. Mon guide, lui, n’éprouvait rien de semblable : il aimait la mine comme une vieille connaissance. Il était fier de l’admiration qu’exprimaient les visages à la vue de cet édifice aux rudes cristaux qui semblait bâti par les fées dans l’intérieur de la terre. « Le seul malheur, me dit-il, est que les mines de sel coûtent beaucoup à creuser, et que la durée en est incertaine. Elles peuvent être détruites par divers accidens, mais surtout par les sources qui coulent au-dessus de la voûte et qui l’usent continuellement. Quelquefois ces sources se précipitent dans l’intérieur des travaux, dissolvent les piliers sur lesquels reposent les diverses parties de l’édifice et entraînent la chute de toute la masse, qui s’écroule, laissant à la surface du sol de vastes abîmes, comme à la suite d’un tremblement de terre. Malheur aux ouvriers qui se trouvent alors de service ! Vous avez sans doute vu près d’ici l’endroit où une mine de sel est tombée, il y a quelques années, ensevelissant avec elle une machine à vapeur, six chevaux, neuf hommes et quelques maisons. » L’idée que l’eau coulait au-dessus de nos têtes et que le plafond de la mine pouvait fondre n’avait rien de très rassurant ; mais ce danger imaginaire ajoutait le charme de l’émotion à la sombre beauté des lieux. Cependant nous avions regagné par une vaste galerie l’ouverture intérieure de la fosse (shaft), que les ingénieurs anglais comparent à la trachée-artère ; c’est en effet par ce tuyau que la mine respire. À travers les cercles d’ombre qui s’élevaient en tourbillonnant vers le ciel, la lumière du jour se remontrait avec la forme et la blancheur d’un shilling. Notre guide nous fit ses cadeaux, — quelques morceaux curieux de sel gemme, — puis il nous souhaita un bon voyage. Le véhicule qui nous avait portés jusqu’au fond de la mine nous remonta en silence. Dans ce voyage d’ascension, nous vîmes peu à peu disparaître les chandelles et les hommes ;