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trouvai beaucoup plus amère que l’eau de l’Océan. Cette amertume fait le mérite des sources anglaises, lesquelles sont deux fois plus riches en sel que les sources de la France. On dit à Northwich que les étrangers qui visitent ces travaux (salt-works) se passent à la ronde une grimace en goûtant à la fortune de la localité. Cette eau coule souterrainement sur une roche de sel qui a vingt-quatre ou trente pieds d’épaisseur ; sous cette roche repose une couche de pierre, et sous la pierre une autre roche de sel. Une fois pompée, l’eau se fend par des conduits dans un réservoir. C’est un long voyage : elle traverse en effet des champs, des prairies, des flaques d’eau douce où nagent et barbotent des canards. Ces tuyaux, placés à une certaine hauteur du sol, ne sont que des troncs d’arbre creusés et ajustés les uns aux autres. Le réservoir ou la citerne (cistern) est une immense construction en bois sur laquelle on peut monter par une échelle et où s’étend entré ciel et terre un lac paisible d’eau salée. Cette eau est ensuite ramenée dans les bâtimens de la fabrique au fur et à mesure des besoins : là, après avoir bouilli un jour et une nuit dans la chaudière [boiling-pan), elle se dépouille par l’évaporation de la matière saline, qui est recueillie et séchée. Quelques sources du Cheshire donnent jusqu’à 22 et même dans certains cas 25 pour 100 de sel. Le personnel de ces établissemens est peu nombreux : il suffit de deux hommes pour desservir la chaudière ; l’un veille le jour et l’autre la nuit. Ils gagnent chacun 5 shillings.

Les sources de sel du Cheshire ont été exploitées sur une grande échelle depuis le règne de Charles II. Ce qui étonne le plus le voyageur, c’est de trouver à l’intérieur du pays, dans un comté tout agricole, comme une apparition de la mer et des travaux qu’on ne s’attendrait à rencontrer que sur les côtes. Cette eau amère qui jaillit et serpente de tous côtés, laissant filtrer le sel qui sue et se cristallise au soleil entre les jointures des conduits, cette odeur marine des fabriques, ces maisons démantelées qui s’inclinent vers la terre comme des navires battus par le vent, tout cela produit un contraste étrange avec les cultures, les moutons qui broutent dans la plaine et les joyeux tableaux de la vie champêtre. L’image de l’océan se présente encore plus vive, si l’on songe que les sources du Cheshire doivent leur richesse minérale à d’anciennes mers pétrifiées en roches de sel. Le voyageur ne se sent plus alors séparé des vagues orageuses par des étendues de terre, mais seulement, selon l’expression d’Addison, par le rivage du temps.

Les sources de sel sont d’un grand produit[1], mais les mines

  1. On fabrique tous les ans dans la seule ville de Northwich plus de 45,000 tonnes de sel.