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relève encore le style général des Rows, ce sont les très anciennes maisons de bois qui s’y encadrent. Il y a en effet des rues qui ont beaucoup moins souffert les unes que les autres des travaux de réparation[1]. Là se dessine, sous les galeries calmes et mystérieuses, la physionomie d’un autre âge. L’origine des Rows a beaucoup exercé la science des antiquaires. Selon les uns, c’étaient des moyens de défense dans un temps où la ville de Chester se voyait sans cesse exposée aux invasions soudaines des Welches, surtout aux charges de cavalerie. D’autres insinuent, par manière d’épigramme sans doute, que ces galeries ont été construites pour protéger les femmes sensibles contre la rencontre des bêtes à cornes. L’opinion de Pennant est que le prototype de cette forme d’architecture remonte aux vestibules ou aux portiques romains[2]. Quoi qu’il en soit d’une origine si obscure, il est certain que la ville de Chester est celle qui a le mieux compris le climat de l’Angleterre. On s’étonne après cela d’y trouver des marchands de parapluies.

Quoique la plupart des maisons soient construites en briques ou en bois, c’est surtout à Chester qu’on peut étudier les rapports de la géologie avec l’architecture des villes. Tous les anciens édifices y sont bâtis en nouveau grès rouge. On admire surtout la cathédrale et l’église Saint-Jean (John’s Church), qui présente quelques restes d’architecture normande. Il est d’ailleurs curieux de voir comment l’art s’est assorti au caractère de la pierre. Le grès rouge étant une matière tendre qui s’égrène sous la main du temps, les architectes ne se sont guère attachés aux détails ni aux ornemens ; ils ont plutôt fait de la peinture que de la sculpture. C’est en effet par la masse, par la couleur, par les effets d’ombres et de lumières, que ces constructions du moyen âge revêtent un caractère auguste. Rien n’est plus majestueux en vérité que la tour de la cathédrale vue à distance, et qui, même sous un ciel nuageux, semble nager dans un perpétuel coucher de soleil. L’âge donne à cette pierre, colorée par un oxyde de fer, un aspect ruineux qui ne lui messied pas. Vous

  1. Dans Watergate-Street, on remarque une vieille maison décorée de sculptures dont le sujet est tiré de l’Histoire sainte. Dans la même rue, une autre habitation porte la date de 1530. La tradition veut que dans un temps où la ville de Chester était désolée par la peste, cette maison se soit trouvée seule ou presque seule épargnée par le fléau. On y lit ces mots qui se rapportent à l’événement : « God’s Providence is mine inheritance. La Providence de Dieu est mon héritage. » Il est d’ailleurs curieux de voir ce que deviennent avec le temps les anciennes résidences seigneuriales. Dans le vieux palais de la famille des Stanley, divisé aujourd’hui en trois maisons, je trouvai une pauvre femme dont le mari infirme et enveloppé d’une couverture se chauffait tristement au coin du feu.
  2. Pennant était un antiquaire remarquable qui a écrit un excellent livre sur les antiquités de Chester et du pays de Galles, Tour in Wales.