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qui voyage lui aussi dans les mornes régions du passé, a certes le droit de s’arrêter avec un intérêt et une curiosité profonde devant ces traces mystérieuses. Gravées dans la roche, elles lui montrent que dans ce temps-là, c’est-à-dire à une époque dont il ne reste aucune autre histoire écrite, la terre était habitée. Les empreintes fossiles de pattes ne se trouvent limitées à aucune formation ; mais c’est surtout dans le nouveau grès rouge qu’on les rencontre. Dans les carrières du Cheshire, on a découvert quelques tablettes de roche sur lesquelles étaient incrustés des pas de tortue avec des gouttes de pluie gravées en creux. Les géologues se sont demandé si cette pluie était tombée avant ou après le passage de l’animal. La réponse à cette question était déposée sur la pierre. La pluie est tombée après, car les petits creux se trouvent imprimés sur les vestiges de pas comme sur le reste de la surface, quoique plus légèrement. Près de Shrewsbury, dans le Shropshire, on a mis à nu les empreintes d’une autre sorte de reptile, un lézard qui présente des caractères remarquables et auquel a été donné le nom de rynchosaurus. Autant qu’on peut en juger par quelques fragmens de l’animal, il paraît avoir eu une bouche désarmée de dents, une tête qui ressemblait à celle d’un oiseau, et qui était renfermée dans une gaîne osseuse. Mais parmi les habitans de cet ancien monde il en est un qui a surtout exercé la science et les conjectures des géologues.

Tout ce qu’on retrouvait de cet être perdu, c’étaient, dans les carrières situées près de Lymm (Cheshire) ou à Storeton Hill, non loin de Birkenhead, des empreintes d’une forme étrange, comme si l’homme avait voulu prendre possession de ces âges reculés en les marquant de sa main. Ce membre gauche, difforme, rudimentaire, n’était point d’ailleurs une main, c’était un pied. Quelqu’un avait passé là ; mais quel était ce promeneur mystérieux ? Ce fut longtemps une énigme pour les naturalistes. On nomma à tout hasard cet animal au pied de sphinx le cheirotherium. Sur les mêmes tablettes de pierre, on retrouvait des rides gravées par la mer sur une ancienne grève. Les avis des savans se partagèrent : les uns rapportèrent l’animal qui avait si bien caché ses ossemens à la famille des kanguroos ; d’autres crurent que c’était un crocodile ; d’autres enfin le déclarèrent un batracien. Pendant que les docteurs délibéraient, des dents furent découvertes au sein de la même formation, dans le Warwickshire. Ces dents étaient d’une structure curieuse ; en les coupant, on trouvait des bandes irrégulières et ondoyantes qui s’entremêlaient les unes dans les autres comme les allées d’un labyrinthe. L’animal auquel ces dents fossiles avaient appartenu fut nommé en conséquence le labyrinthodon. Enfin quelques os se montrèrent, toujours dans la même série de roches, et en