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que fonde ordinairement en tout pays l’expression spontanée du génie national. Les types même les plus populaires finissent par être délaissés. Arlequin, Brighella et le docteur ne se démènent plus guère qu’au milieu des fantoccini. Trois types nouveaux ou renouvelés, mais sans grande originalité, occupent aujourd’hui l’Italie : Stenterello à Florence, Meneghino à Milan, Gianduja à Turin. Les bouffons créés en France à l’imitation italienne du XVIe au XVIIIe siècle ne se retrouvent plus que dans les déguisemens de carnaval. Ce n’est pas d’ailleurs sans raison que ces types se modifient et s’amoindrissent. À mesure que se répand le souffle de la liberté, que la civilisation fait des progrès, que les individus apprennent à se connaître et les peuples à se gouverner, la part laissée aux instincts diminue chaque jour. Or les types de la comédie improvisée personnifiaient surtout les divers instincts soit naïfs, soit artificiels de la nature humaine. Un inévitable défaut de caractère individuel les transformait peu à peu en abstractions incolores. Pour en sauver la monotonie, il ne fallait rien moins que les ressources satiriques du génie italien, que sa particulière intelligence de la bouffonnerie, qui trouvait dans l’improvisation un moyen d’éviter la censure et de braver la persécution politique ou religieuse. Enfin, malgré ce qu’elle a de charmant, de curieux et d’humoristique, malgré ce qu’elle prête à la connaissance des habitudes intimes de tout un peuple, on peut se demander si la commedia dell’ arte n’a pas exercé sur les destinées de la littérature dramatique en Italie une influence regrettable, si la faveur exclusive dont elle jouissait auprès du public n’a pas singulièrement contrarié le développement de la comédie de mœurs et de caractère. Ses masques sont-ils donc autre chose que des figures conventionnelles qui, en désignant constamment sous le même costume le même vice ou le même ridicule, n’éprouvent à le généraliser ! aucune difficulté ? La comédie de l’art fait bon marché de l’harmonie, de la vraisemblance et de la progression de l’intérêt dramatique, pour s’attacher uniquement à l’imprévu. Les procédés qu’elle emploie se dérobent à l’étude pour ne relever que de la fantaisie. De plus, condamnée à se renfermer dans les étroites limites de la bouffonnerie, elle se refuse toute excursion dans le domaine des sentimens véritablement élevés, véritablement moraux. Voltaire en avait fait la judicieuse remarque. « Goldoni, dit-il à propos de la fameuse apostrophe du Menteur, n’a pu imiter dans son Bugiardo cette belle scène de Corneille, parce que Pantalon Bisognosi, marchand vénitien, le père de son menteur, ne peut avoir l’autorité et le nom d’un gentilhomme. Pantalon dit simplement à son fils qu’il faut qu’un marchand ait de la bonne foi. »

On attribue volontiers à l’influence de la comédie de l’art quelques-uns des chefs-d’œuvre de Molière ? mais Molière a su simplement faire valoir cette forme dramatique et se l’approprier. Attachait-il d’ailleurs une souveraine importance à ces imbroglios destinés aux divertissemens de la cour ? Il les écrivait rapidement, et la main du maître ne pouvait faire moins que d’y laisser son empreinte. On connaît la réponse railleuse de ce grand génie à quelque esprit intelligent qui s’inquiétait sans doute de ces imitations italiennes : « J’ai vu le public quitter le Misanthrope pour Scaramouche, j’ai chargé Scapin de le ramener, n Il n’est donc pas vrai de dire, et le vieillard