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ne saurait donc refuser à ses masques et bouffons, malgré leur impuissance à s’élever jusqu’à la comédie véritable, l’honneur d’une histoire spéciale.

Cette histoire, que l’on a pu lire en partie dans la Revue[1], est complétée en beaucoup d’endroits par les recherches de M. Maurice Sand. On pourrait peut-être désirer que les curieux détails dont ce livre abonde fussent unis par une méthode plus rigoureuse et fécondés par quelques considérations générales. Toutefois, si M. Maurice Sand laisse au lecteur le soin de tirer lui-même ses conclusions, il ne néglige aucun des petits faits qui peuvent l’éclairer. Il nous donne d’abord au moyen de l’analyse une idée très nette de la comédie de l’art. Les essais de représentation en ce genre dont il a été le témoin, et qu’il raconte spirituellement, lui fournissent d’instructives et amusantes observations de mise en scène. C’est un fait acquis à la critique moderne que la nécessité, pour toute forme de l’art qui tend à se renouveler ou à se connaître elle-même, de remonter d’abord à ses sources. Ces types du théâtre italien, qui sont dus plutôt aux sentimens et aux passions d’un peuple qu’aux conquêtes rationnelles de son intelligence, M. Maurice Sand les prend à leur naissance et les suit patiemment jusqu’à nos jours dans les inévitables transformations qu’ils doivent aux années et aux événemens politiques. Il n’oublie pas de les accompagner dans leurs excursions transalpines. La France, on le sait, se les appropria presque tous, et leur imprima le cachet de ses mœurs et de ses traditions. Au XVIIIe siècle, elle fit, en la modifiant, de la commedia dell’arte un genre nouveau de son théâtre, se souvenant avec raison que Molière lui avait quelquefois repris son bien. C’est de cette influence réciproque que résulte pour nous le principal intérêt des figures dramatiques de l’Italie.

Les masques et bouffons qui composent l’ensemble de la comédie italienne sont en très grand nombre : chaque bourg, chaque patois a son représentant. M. Maurice Sand a eu l’heureuse idée de les classifier pour ainsi dire scientifiquement, en ramenant chaque variété à l’espèce, chaque espèce au genre. Un rapide examen de ces principales figures dans leurs détails les plus caractéristiques ne peut manquer d’offrir quelque intérêt. — Arlequin, le premier et le plus populaire, le Panniculus des Atellanes reconnaissable à la batte et au chapeau, est l’un des deux zani[2] bergamasques, dont l’autre porte le nom de Brighella. Celui-ci, personnage flagorneur et mielleux, est la souche de tous les valets fourbes et intrigans. Sa lignée française est nombreuse : Scapin, Sbrigani, Mascarille, Frontin, Labranche et Figaro le reconnaissent pour père. Il a volontiers la plaisanterie féroce : « J’ai vécu, dit-il, dans le théâtre de Gherardi[3] six ans avec ma première femme

  1. Voyez les études de MM. Ferrari, Ch. Magnin et Frédéric Mercey.
  2. Sanniones, bouffons.
  3. La troupe italienne appelée à Paris en 1645 par Mazarin commença à donner des pièces françaises le 22 janvier 1682 ; elle occupait alors, après la réunion des théâtres français, la salle de l’hôtel de Bourgogne. Évariste Gherardi, qui en devint le directeur, lui fit représenter un grand nombre de ses ouvrages. La plupart, qui offrent une alliance curieuse de l’esprit français et de la bouffonnerie italienne, sont réunis sous ce titre : Le Théâtre-Italien, ou le Recueil de toutes les Comédies et Scènes françoises jouées par les comédiens italiens du roy pendant tout le temps qu’ils ont été au service.