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bord sourire, qui fait ensuite rêver, groupes charmans que Watteau excellait à peindre ? C’est un idéal maniéré sans doute, mais enfin c’est un idéal dont l’harmonie est visible et le charme certain. Dans ce pays enchanteur peuplé de gentilshommes, de baladins et d’héroïnes galantes, Regnard a placé la scène de ses Folies amoureuses, Lesage son château de Lirias, tous les poètes de l’époque leur retraite désirée jusqu’au jour où Jean-Jacques est venu bâtir sur ces ruines d’opéra sa maison blanche à volets verts. L’Italie a presque seule inspiré ces poses et ces costumes. De belles dames poudrées et fardées traînent leurs manteaux de velours et leurs robes de satin sur les marches d’un escalier de marbre rose. Les unes, au bras de leurs amans, cherchent les allées ombreuses ; d’autres écoutent le récit fait en beau style de quelque aventure ou le sonnet déclamé par un cavalier vêtu d’un pourpoint couleur céladon. Partout c’est un babil capricieux et pétulant où se croisent les joyeuses médisances et les impertinentes déclarations. Égaré par Crispin, Pantalon cherche en le maudissant son libertin de fils Orazio : il est derrière cette charmille, qui joue de la flûte aux pieds de Silvia. La liberté la plus aimable règne dans cette heureuse région, où les arbres bizarrement taillés ne laissent pénétrer qu’un air tiède et une douce lumière. Sur le devant, Pulcinella gambade en ricanant, tandis que Pierrot, raide et les bras collés au corps, ouvre sa grande bouche étonnée ; Mezzetin, tout en raclant sa guitare, poursuit les yeux au ciel quelque songe intérieur. Arlequin présente avec un salut ironique sa batte de bois au vieux capitan Spezzafer, qui s’appuie tristement sur l’épaule de son petit-fils Scaramouche, devenu marquis… en Espagne. Puis, vers les derniers plans, tout un monde de masques, de femmes et de bouffons circule, se mêle et s’évanouit dans une brume rosée…

C’est ce monde chimérique que M. Maurice Sand vient aujourd’hui nous raconter avec la plume et le crayon. L’an dernier, à pareille époque, il ornait de dessins originaux et gracieux une poétique narration des Légendes rustiques du Berri. En faisant succéder aujourd’hui les types de la comédie italienne aux Lavandières de nuit et au Meneu de Loups, le jeune artiste agrandit simplement le cercle de ses études et demeure en réalité sur le même terrain. Critiques bouffonnes du présent, souvenirs touchans ou terribles du passé, ces formes diverses de ce que Mme Sand nomme la fabulosité traduisent également les espérances ou les craintes de l’imagination populaire. Un monde fantastique peuple à la fois cette littérature orale et cette littérature improvisée ; mais celle-ci, plus libre et moins émue, est l’expression hardie des sens, l’organe naturel d’une foule toujours prête à se passionner pour des masques grotesques qui débordent de verve, d’insolence et de raillerie. La Commedia dell’arte, tel est le nom sans équivalent dans notre langue de ce genre d’improvisation appliquée à l’art dramatique, est certainement l’expression la plus intéressante et la plus fidèle du génie de la race italienne. Pour réunir ses personnages, elle a mis à contribution, en leur empruntant leur patois et leurs habitudes particulières, tous les groupes de la péninsule. Enfin elle est parvenue à représenter sous la forme la plus vive et la plus saisissante, en même temps que les instincts les plus naïfs de la créature humaine, toutes les variétés du caractère national. On