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mots entrecoupés : Quel ciel pur !… quelle harmonie divine !… Une âme heureuse se détache alors d’un groupe et vient au-devant de lui en lui disant :

Cet asile aimable et tranquille
Par le bonheur est habité.


C’est un petit air que l’on a pris à la partie d’Eurydice pour le donner à une jeune et belle personne, Mlle Moreau, qui s’y est fait applaudir. À cet air charmant succède un chœur d’une simplicité et d’une expression si vraiment antiques, qu’on ne suppose pas que les Muses puissent chanter autrement :

Viens dans ce séjour paisible.


Après d’admirables récitatifs chantés par Orphée vient la scène et le duo entre Orphée et Eurydice, suivi de l’air si connu et si universellement admiré :

J’ai perdu mon Eurydice,


et le tout se termine par un charmant chœur tiré d’Écho et Narcisse :

Le dieu de Paphos et de Guide.

Tels sont les détails et les beautés de cette œuvre unique que nous a fait entendre le, Théâtre-Lyrique, le seul théâtre musical de Paris qui mérite qu’on se dérange. L’entreprise était hardie de faire représenter sur une scène moderne un ouvrage d’une simplicité sublime, où il n’y a que trois personnages mythologiques possédant une voix de même nature. Cette entreprise a été couronnée d’un plein succès, grâce à la beauté de la mise en scène, aux chœurs, à l’orchestre et aux décors, qui sont fort soignés. Mlle Sax ne se tire pas trop mal du rôle d’Eurydice. Mlle Moreau a été appréciée dans le petit air qu’elle a chanté avec goût, tandis que Mlle Marimon laisse à désirer dans le personnage de l’Amour. Sa voix, d’un timbre mat et pâteux, ne ressort pas assez et lui donne l’accent d’un chérubin. J’aime mieux celui de l’Amour tel que Gluck l’a fait parler. Après la musique de Gluck, c’est à Mme Viardot que revient le plus grand honneur de cette restitution d’un beau chef-d’œuvre âgé de quatre-vingt-sept ans. Il fallait à la fois une cantatrice éminente dans le style fleuri de la musique moderne, une intelligence vive et familiarisée avec les vieux modèles, une comédienne à la hauteur d’une conception idéale, pour rendre et pour chanter le rôle d’Orphée. Mme Viardot, qui n’est pas sans défauts, dont la voix a perdu depuis longtemps une partie de son charme et de sa sonorité, artiste supérieure dont nous avons toujours reconnu le mérite bien que nous ayons dû lui reprocher quelquefois un manque de grâce et de naturel, Mme Viardot a dépassé nos espérances dans cette nouvelle création. Tour à tour simple, touchante, pathétique et impétueuse, comme dans l’air de bravoure qui termine le premier acte, et qui serait insupportable sans une exécution aussi parfaite, Mme Viardot a su allier les styles les plus opposés et fondre dans un tout savamment combiné la manière large et spianata de l’ancienne école italienne, dont Guadagni fut un modèle, avec un certain emportement qui caractérisait la déclamation lyrique des Saint-Huberti et des