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et pour faire chanter devant un public de philosophes le divin fils d’Apollon, dieu de la poésie et de la musique, qui ne formaient qu’un tout indissoluble dans les doctrines de l’antiquité. Plus tard, la musique s’est émancipée et a voulu marcher toute seule, même dans le drame lyrique, et c’est contre ce divorce que s’est élevé le génie de Gluck.

Le poème de Calzabigi, que le traducteur français a suivi exactement, est divisé en trois actes. Au premier acte, Orphée pleure la mort toute récente d’Eurydice, dont le corps repose dans un tombeau rustique, autour duquel se sont groupés des nymphes et des pasteurs qui partagent la douleur du demi-dieu. L’Amour survient, qui, au nom de Jupiter, touché de ses larmes, lui permet de pénétrer dans le ténébreux séjour et d’en ramener Eurydice, mais à la condition qu’Orphée saura résister aux prières de la femme aimée, et qu’il ne se retournera pas pour contempler ses traits avant d’avoir franchi les portes du jour. Le second acte présente la scène des enfers et Orphée domptant les démons aux sons de sa lyre. Au troisième acte, on voit les champs élyséens et les ombres heureuses, parmi lesquelles se trouve Eurydice, qu’Orphée reconnaît, et qu’il entraîne avec lui hors de ce séjour d’éternelle sérénité. Orphée ne peut résister aux prières d’Eurydice, il se retourne pour la voir, et elle expire à ses pieds. L’Amour alors intervient une seconde fois, et, content de la fidélité d’un époux si rare, il lui rend sa compagne. C’est sur une pareille donnée, d’une simplicité antique et d’une métaphysique si profonde, que Gluck a écrit un chef-d’œuvre de passion et qu’il a osé lutter avec un poète comme Virgile, dont il égale parfois la religieuse tendresse et le sentiment exquis.

Après une ouverture médiocre, qu’on a eu le bon esprit de supprimer au Théâtre-Lyrique, on entend un chœur de nymphes et de pasteurs :

Oh ! dans ce bois tranquille et sombre,


d’une simplicité adorable, et dont la tonalité, en ut mineur, exhale une douce tristesse qui rappelle le tableau du Poussin, les Bergers d’Arcadie, avec l’épitaphe sur un tombeau rustique : Et in Arcadia ego. Par-dessus ce chœur, qui murmure ses douces plaintes, Orphée jette le cri : Eurydice,… Eurydice !… d’un pathétique sublime. À ce chœur, qui se répète deux fois, succède la fameuse romance :

Objet de mon amour,
Je te demande au jour,
Avant l’aurore,


qui contient la traduction des vers des Géorgiques que nous avons cités plus haut, et que Gluck a revêtus d’une mélodie touchante, précédée et suivie de récitatifs admirables. Deux petits airs chantés par l’Amour, dont le second, à trois-huit, nous paraît préférable au premier, précèdent le grand air d’Orphée, en ut majeur, suivi de l’air de bravoure qui termine le premier acte :

L’espoir renaît dans mon âme,


qui n’a d’autre mérite que de faire ressortir la grande et large vocalisation de Mme Viardot.