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un noble protecteur dans le comte Melzi, seigneur milanais, qui l’accueillit dans son palais. Le comte Melzi, qui avait connu Gluck chez le prince de Lobkowitz, s’intéressa au jeune Tedesco, le nomma son maître de chapelle et le conduisit à Milan, où il fit la connaissance de San-Martini, qui lui donna des conseils. C’est à Milan que Gluck a composé son premier opéra, Artaserse, poème de Métastase, en 1741. Il avait alors vingt-sept ans. Grâce à la protection du comte Melzi, aux bons conseils de San-Martini, qui était devenu son ami, l’opéra de Gluck eut un plein succès. Ainsi donc Gluck, comme Haydn et Mozart, doit aux maîtres et au goût de l’Italie ce premier rayon de lumière qui a fait résonner son génie pathétique. Cela est bon à dire par ce temps de nationalités jalouses, où il semble que chaque peuple ne doive sa civilisation qu’à ses propres efforts. L’Allemagne surtout ne devrait pas oublier ce qu’elle doit aux deux grandes nations latines : l’Italie et la France.

Après le succès d’Artaserse, Gluck parcourut les principales villes d’Italie, composant à Venise, à Crémone, à Turin, etc., des opéras qui répandirent son nom dans toute l’Europe. En 1745, il fut mandé à Londres pour écrire un ouvrage, la Caduta dei Giganti, qui n’eut que cinq représentations. Gluck quitta promptement l’Angleterre, peu content de l’accueil qu’il y avait reçu et du jugement sévère qu’avait porté sur ses ouvrages son illustre compatriote Haendel, traversa Paris, où il eut occasion d’entendre les opéras de Rameau, alors dans tout son éclat, et s’en retourna à Vienne, où il faisait son séjour habituel. Gluck reprit bientôt le chemin de l’Italie, se rendit à Rome, à Parme et dans d’autres villes, où il écrivit des opéras plus ou moins heureux, parmi lesquels il faut citer surtout Telemacco, et revint à Vienne, vers 1755, avec l’intention de modifier son style et de changer les proportions de l’opéra italien. C’est pendant la période de 1762 à 1770 que Gluck a composé pour le théâtre italien de Vienne Orfeo, Alceste et Paride ed Elena, qui marquent un si grand changement dans sa manière. Cette première modification, dont il a consigné les principes dans l’épître dédicatoire d’Alceste au duc de Toscane, et dans celle de Paride ed Elena au duc de Bragance, amena Gluck à venir essayer en France la réforme qu’il avait opérée dans l’opéra italien. Iphiyénie en Aulide, Orphée, Alceste, Armide, Iphygénie en Tauride, Écho et Narcisse, sont les opéras qu’il a donnés successivement à l’Académie de musique, et qui ont soulevé à Paris et en Europe une si bruyante polémique. Fixé à Vienne, où il retournait incessamment, Gluck y est mort le 15 novembre 1787, l’année même où Mozart enfantait Don Juan. Trois mois après la mort de Mozart, arrivée le 5 décembre 1791, Dieu appelait à la vie, dans la petite ville de Pesaro, un génie merveilleux bien digne de faire partie du petit nombre des élus.

Lorsque Gluck composa la partition d’Orfeo en 1762, il avait cinquante-huit ans. Son nom était alors illustre, ses œuvres fort admirées dans toute l’Europe. J’insiste sur ce fait, parce que la manie de notre temps est de croire aux génies inconnus et de forger des fables au profit des médiocrités vaniteuses et des vocations avortées. Comme tous les hommes supérieurs, Gluck a d’abord suivi, sans système, le goût de son époque et écrit des opéras pour satisfaire le public dont il voulait capter les suffrages. Devenu célèbre malgré les obstacles qu’il eut à surmonter et malgré la toute-puissance