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veut le repos, de la tombe ; quant à l’âme, elle refuse de le partager. L’éternité lui appartient, puisqu’elle se sent des forces éternelles.

Ce n’est pas Mme de Gasparin qui acceptera jamais cette morne consolation de l’éternel néant. Non-seulement elle veut vivre encore après le tombeau, mais vivre en quelque sorte comme elle a vécu. Ce n’est pas elle qui se plaindra d’avoir souffert et aimé ; volontiers elle demande d’aimer et de souffrir encore pendant toute l’éternité. Elle veut retrouver dans l’azur du paradis les êtres qu’elle a chéris et perdus, et elle veut mettre tout son bonheur à les chérir pour toujours, sans avoir jamais plus la crainte de les perdre. Rien n’est plus charmant ni plus hardi que sa théorie féminine sur les joies célestes et le paradis qu’elle espère. À la bonne heure ! elle regarde en face le paradis de Dante, et elle l’appelle sans hésiter le paradis qui fait peur. Elle déclare audacieusement qu’elle ne veut à aucun prix du morne bonheur qu’il promet et de la monotone béatitude des « cohortes bienheureuses tournant en orbes immenses dans ce carrousel à remplir les cieux, lancé par la main qui jeta les mondes dans l’éther, tout rayonnant d’étoiles qu’il entraîne en sa rotation effrénée. » Elle frémit à la pensée que, pour récompense, elle pourrait entrer comme parcelle infinitésimale dans l’agglomération des âmes qui forment les figures symboliques : l’échelle, la croix, l’aigle. « Les mieux partagés figurent les yeux de l’oiseau impérial, prunelles scintillantes où Trajan jette ses rayons à côté de Constantin le Grand et d’Ezéchias. Dans la sphère transcendante, les âmes immobiles, rangées, j’allais dire piquées sur les gradins de l’amphithéâtre, siègent noyées dans la lumière. Au centre, Dieu, trois cercles de dimension égale : le Père, le Fils, le Saint-Esprit ! Les bienheureux plongent à jamais leurs regards dans ce triple anneau, d’un éclat à éteindre le soleil. L’éternel hozannah remplit l’immensité de son accord invariable. C’est l’empyrée. Que sentez-vous ? Moi, je sens de l’épouvante… » Les splendeurs aveuglantes de l’eterna margherita du poète italien ne semblent donc pas à l’auteur une rémunération désirable des douleurs et des combats de l’existence. Elle se contente, et le déclare à cœur ouvert, de récompenses moins royales et moins pompeuses ; elle veut de plus humbles consolations. Pour elle, le type du bonheur suprême, c’est Jésus ressuscité. Vous vous rappelez ces scènes du Nouveau Testament où le Sauveur, sorti du tombeau, mène une vie aussi familière que durant sa vie terrestre. Il retrouve et reconnaît les vieilles figures amies, les disciples dévoués ; il les appelle par leur nom, et à ceux qui doutent il fait poser les doigts sur ses plaies encore ouvertes. Les saints personnages mènent l’ancienne existence et parcourent les chemins tant de fois battus. Les palmiers murmurent encore sur la tête du