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de Dieu : elle s’attache de préférence à celles qui parlent de mansuétude, de clémence, de pardon, et elle feint de ne pas entendre celles qui parlent de justice, de rémunération stricte et implacable, de vengeances poursuivies jusqu’à la dixième génération. Jamais puritaine n’a plus pensé au salut et moins pensé à la damnation. Mme de Gasparin n’a pas peur de Dieu, et c’est là une des originalités de son zèle religieux. La crainte de Dieu n’est pas une vaine métaphore dans le calvinisme ; cette expression enveloppe un dogme, et un dogme terrible. La manière d’aimer Dieu de l’ancien puritain était réellement la terreur ; il se sentait courbé sous cette main invisible qui pouvait, au gré des décrets mystérieux de sa justice, le sauver ou le briser sans qu’il eût le droit de proférer une plainte. Il n’en est pas ainsi avec l’auteur des Horizons prochains. Il contemple la vie d’un œil serein, lève vers le ciel un regard assuré, quoique plein de prières, et sur sa physionomie à la fois sévère et souriante on lit distinctement ces consolantes paroles : « N’ayez pas peur de Dieu. »

« Il n’y a rien ici pour les utilitaires, rien pour ceux qu’on appelle réalistes, rien pour les amans du drame, rien pour les fins connaisseurs, rien je crois en vérité, que pour moi et mes pareils, songeurs, vivant de peu, qu’un gros poème épouvante, et qu’une corolle entr’ouverte, qu’un bourdon en fête, qu’une agreste silhouette jettent en des rêves infinis. » Nous n’acceptons qu’avec réserve ce jugement modeste de l’auteur sur ses propres écrits. Mme de Gasparin se trompe, et les fins connaisseurs, c’est-à-dire ceux qui savent distinguer la vraie littérature de la fausse, et qui préfèrent avant toutes autres les œuvres qui, à un degré quelconque, portent la marque de la naïveté, la liront avec intérêt et plaisir. Tous les artifices de l’arrangeur habile, toutes les ruses de la rhétorique savante, ne valent pas, pour le vrai connaisseur en littérature, un peu de naïveté. Dès que cette qualité se montre dans une œuvre, on pardonne aisément à l’auteur ses défauts, ses incohérences, ses défaillances. C’est ce qui nous est arrivé avec Mme de Gasparin. Ses livres nous ont donné en quelque sorte un spectacle curieux et attachant que bien des livres mieux ordonnés, mieux composés, estimés à un prix supérieur, ne nous ont pas donné, et ne pouvaient pas nous donner : le spectacle d’une âme en mouvement. Quoique mystique et prompte à la prière, cette âme n’est cependant pas méditative, ni même recueillie ; active, zélée, pieusement orageuse, elle invente, à mesure qu’elle parle, ses expressions, ses pensées et ses sentimens. Sa religion est moins une doctrine qu’un instinct ; elle lui obéit comme l’oiseau obéit à l’instinct du chant, et la fourmi à l’instinct du travail. Elle a la vaillance des petits êtres ailés qu’une goutte d’eau semblerait pouvoir noyer, et qui s’agitent infatigables