Mme Du Deffand dans le plus singulier embarras en la forçant à retirer cette politesse inopportune. « Quand son fils était dans une situation plus fâcheuse que la disgrâce, écrit-elle, et mon mari dans une position plus flatteuse que la faveur, je devais faire connaître à Mme d’Aiguillon toute mon estime pour elle, pour adoucir l’aigreur et rapprocher l’éloignement que la différence de nos situations devait mettre entre nous. Aujourd’hui, tout est changé : son fils a la puissance, il ne reste plus à mon mari que l’honneur, et ce serait une bassesse insigne à moi de chercher à plaire à Mme d’Aiguillon. J’aurais l’air de quémander sa bienveillance, sa protection ; Dieu m’en garde ! Je n’ai plus besoin de plaire à personne, puisque personne n’a plus besoin de moi… » Et si Mme Du Deffand ne comprend pas cette susceptibilité, la duchesse de Choiseul ajoute : « J’en appelle à M. de Walpole ; si vous ne m’entendez pas, un Anglais doit m’entendre. » Mme de Choiseul a l’à-propos et la justesse dans la bonne grâce comme dans la dignité, dans la conduite comme dans les paroles.
Cette femme si heureusement douée, qui est si peu de son temps par les mœurs, qui reste vertueuse au milieu de toutes les licences, n’est point cependant à l’abri des influences de son époque. Si elle n’est de son siècle par la vie, elle lui appartient par le mouvement de ses idées, par la manière d’entendre les choses morales, et, si je l’ose dire, par la nature même de cette vertu qui semble dénuée d’une certaine élévation idéale. On l’a remarque, le nom de Dieu est à peine prononcé une fois dans ces lettres, et encore avec assez de légèreté. Mme de Choiseul est une femme de mœurs régulières et en même temps elle cite les passages les plus vifs de livres obscènes. Il y a parfois dans cette correspondance une assez grande liberté de propos, et jusque dans un épisode de cette vie de Chanteloup n’aperçoit-on pas cet esprit du XVIIIe siècle, ce matérialisme qui envahit les relations morales et se mêle au sentiment ? La duchesse de Choiseul s’attache un petit musicien qui joue du clavecin et qu’elle aime à la folie. Cet enfant de onze ans, — véritable enfant du siècle, — s’éprend tout simplement de la noble dame de Chanteloup, et lorsque celle-ci veut interdire des caresses de jour en jour plus pressantes, le petit Louis tombe dans une tristesse noire : il ne mange plus, rien ne peut le distraire. Il va conter ses peines au grand abbé, devenu le singulier confident de ses amours. Le salon finit par intervenir et condamne Mme de Choiseul à recevoir les caresses du petit musicien. C’est M. de Choiseul en personne qui signifie la sentence. « C’est véritablement de l’amour que le petit Louis a pour vous, écrit Mme Du Deffand à la duchesse de Choiseul, et je crois que si vous étiez dans le cas de prendre une passion, il en serait l’objet… » Et la dame de Chanteloup dit à son tour en racontant