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si empressées pour attirer ici une certaine maréchale ? » Et Mme Du Deffand écrivait d’un autre côté : « Rien n’est plus comique et plus singulier que cette visite de Mme de Luxembourg. C’est pour qu’elle soit placée dans ses fastes. Ce n’est assurément pas l’amitié qui en est le motif… Elle était l’ennemie des Choiseul, et comme il est du bel air actuellement d’être dans ce que nous appelons aussi l’opposition, elle a employé toute sorte de manèges pour se réconcilier avec eux… » Ainsi se réalisait dans ce brillant exil ce que disait Horace Walpole, l’ami de Mrac Du Deffand : « Compiègne est abandonné, Villers-Cotterets et Chantilly encombrés ; mais Chanteloup surtout est à la mode, tout le monde y court, quoique le roi réponde à ceux qui en demandent l’autorisation : « Je ne le permets ni ne le défends… » C’est la première fois peut-être que la volonté d’un roi de France est interprétée contre son inclination. Après avoir annihilé le parlement, ruiné le crédit, il se voit bravé par ses plus immédiats serviteurs. Mme de Beauvau et deux ou trois autres femmes de cour défient ce tsar des Gaules… »

Chanteloup eut donc bien des hôtes divers, les hôtes de passage et d’apparat comme Mme de Luxembourg, ceux qui cédaient à un mouvement sincère et ceux qui suivaient le souffle capricieux de la mode, sans compter les Anglais comme lady Churchill, qui voulait voir Chanteloup parce que les papiers d’Angleterre en parlaient sans cesse. Il y avait aussi les hôtes habitués et fixes, la duchesse de Grammont, qui avait suivi son frère, l’abbé Barthélémy, Gatti, le médecin florentin, ce type de la vivacité italienne, Mme Du Deffand, qui ne parut qu’une fois à Chanteloup, mais qui y était toujours en esprit. Et en fin de compte, les plus curieux de tous ces personnages disparus du XVIIIe siècle, ce sont ceux qui font revivre tous les autres, et qui se peignent eux-mêmes dans ces lettres aujourd’hui tirées de l’oubli : Mme Du Deffand recueillant tous les bruits de Paris et leur donnant le tour piquant d’une libre et vive conversation, l’abbé Barthélémy écrivant la chronique familière de Chanteloup, la duchesse de Choiseul elle-même allant de l’un à l’autre, parlant de tout, animant tout du feu de son aimable et supérieure nature.

Qui ne sait que Mme Du Deffand est une des figures les plus expressives et les plus singulières du dernier siècle ? Elle s’est révélée dans sa correspondance avec Horace Walpole et avec le président Hénault. Quand elle écrivait ces lettres à la duchesse de Choiseul et à l’abbé Barthélémy, elle avait déjà dépassé soixante-dix ans, elle était revenue de la vie, si l’on me passe ce mot, et cette vie, elle l’avait menée galamment, grandement, comme on la menait à cette époque, portant partout sa vivacité, son inconstance et cette hardiesse d’esprit qui ne s’étonnait de rien. Née d’une famille noble