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du mouvement au lendemain du départ de M. de Choiseul. On se faisait un piquant plaisir de demander la permission d’aller à Chanteloup et de donner de l’ennui aux maîtres du jour, irrités de ces manifestations. Toutes les demandes ne furent pas accueillies d’abord, puis le roi finit par dire qu’il ne permettait ni ne défendait. Dans un moment de mauvaise humeur, il écrivit au maréchal de Beauvau cette lettre singulière : « Mon cousin, vous êtes bien vif et tenace dans ce que vous désirez. Je ne suis pas surpris que le beau sexe ne puisse vous résister longtemps. Moi qui n’en suis pas, je devrais vous refuser, et je le ferais, si je ne vous avais pas fait par trop espérer que je vous laisserais aller à Chanteloup, car j’ai de bonnes raisons pour cela, et cet empressement d’y aller ne me plaît pas du tout. Sachez-le. Sur ce, etc. » Le prince de Beauvau partit ; quelque temps après, il perdait son gouvernement du Languedoc.

C’était du reste une grande et seigneuriale existence qu’on menait à Chanteloup, quand le premier et le plus dur moment fut passé : existence libre et fastueuse, comme on la mène entre gens pour qui le luxe de la vie est tout. « Nous faisons bonne chère, écrivait, peu après son arrivée, la duchesse de Choiseul ; nous passons des nuits fort tranquilles et toute la matinée à nous parer de perles et de diamans comme des princesses de roman. » On se levait tard, on se promenait, et on se retrouvait toujours à table ; on jouait le pharaon et le whist ou le trictrac. Quelquefois aussi on lisait les mémoires de Saint-Simon, sur lesquels le duc de Choiseul avait mis la main, ou ce qu’on connaissait alors des lettres de Mme de Maintenon ; puis tout s’animait par un mouvement extraordinaire de visiteurs se succédant tous les jours. « Quant à présent, écrit l’abbé Barthélémy, qui était de la maison, et qui de temps à autre rédigeait une page de ce qu’on appelait plaisamment les grandes chroniques de Chanteloup, quant à présent, voici la compagnie : M. et Mme de Beauvau, Mme de Poix, Mme de Tessé, Mme de Chauvelin, qui part demain, M. le duc d’Ayen, M. d’Estrehan, M. de Schomberg, M. de Boufflers, M. de Sarlabons, sans compter M. de Cambrai. On attend à la fin du mois M. de Bezenval, et le mois prochain d’autres visites encore. Telle était la fureur du moment, que tout le monde voulait aller ou être allé à Chanteloup, et il y eut, je pense, plus d’une comédie comme celle du voyage de la maréchale de Luxembourg, qui n’avait jamais passé pour être des amis du ministre exilé.

Ce furent en apparence de grandes démonstrations. M. de Choiseul écrivit à la maréchale. Mme de Luxembourg, en arrivant, portait une belle tabatière avec le médaillon du duc entouré de perlés. On se confondait en galanteries, et tout bas la duchesse de Choiseur écrivait à Mme Du Deffand : « Croyez-vous de bien bonne foi à ces lettres