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peut-être ; il eût fait face au dehors, il eût adouci la guerre avec les parlemens ; mais au lieu d’un appui à la cour, il n’avait que l’hostilité de la favorite nouvelle, devant qui son orgueil refusait de plier. Soit par dépit, soit par un mouvement tardif de fierté aristocratique, après avoir vécu si bien avec Mme de Pompadour, il ne voulait pas reconnaître Mme Du Barry, et tout ce qui tenait au premier ministre entrait en guerre contre la favorite. Les amis de Mme Du Barry, le duc d’Aiguillon, le maréchal de Richelieu, appelaient cela plaisamment une révolte de la faction Choiseul contre la prérogative du roi.

Dès lors la lutte était engagée. Mme Du Barry, en bonne fille qu’elle était, n’eût point été éloignée de faire la paix avec ce grand seigneur révolté ; jusqu’au dernier moment, elle voulut le gagner, et elle finit par lui faire dire de prendre garde à lui, « qu’on avait souvent vu des maîtresses faire renvoyer des ministres, mais qu’on n’avait jamais vu de ministre obtenir la disgrâce d’une maîtresse. » M. de Choiseul résista ; il ne se dissimulait pas qu’il jouait une vive partie. Un jour rencontrant de bon matin le duc d’Aiguillon à la porte du roi, il lui dit avec son ironique aisance de gentilhomme : « Eh bien ! vous me chassez donc ! J’espère qu’ils m’enverront à Chanteloup. Vous prendrez ma place, quelqu’autre vous chassera à son tour. Ils vous enverront à Veretz ; nous serons voisins, nous n’aurons plus d’affaires politiques, nous voisinerons et nous en dirons de bonnes ! » Au fond, il se croyait plus nécessaire qu’il ne le laissait paraître ; il pensait avoir assuré son crédit par le mariage récent du prince qui devait être Louis XVI avec l’archiduchesse qui fut Marie-Antoinette. Et puis, avec le sentiment de son importance, peut-être se disait-il comme ce Guise à qui on le comparait si singulièrement pour l’ambition : « On n’oserait ! » On osa. Le duc d’Aiguillon, le chancelier Maupeou, l’abbé Terray, associés à la vengeance de Mme Du Barry, l’emportèrent, et le 24 décembre 1770 M. de Choiseul recevait cette lettre du roi : « Mon cousin, le mécontentement que me causent vos services me force à vous exiler à Chanteloup, où vous vous rendrez dans vingt-quatre heures. Je vous aurais envoyé beaucoup plus loin, si ce n’était l’estime particulière que j’ai pour Mme la duchesse de Choiseul, dont la santé m’est fort intéressante. Prenez garde que votre conduite ne me fasse prendre un autre parti ; sur ce, je prie Dieu, mon cousin, qu’il vous ait en sa sainte garde. » L’ordre d’exil atteignait aussi le duc de Praslin, qui dormait quand il le reçut, fit refermer ses rideaux, se rendormit et ne se réveilla que pour monter en voiture. Le duc de La Vrillière, lié d’intérêts avec le duc d’Aiguillon, fut chargé de remettre la lettre royale à M. de Choiseul, et comme il s’efforçait d’exprimer à celui-ci son chagrin d’avoir à remplir une telle mission,