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par un certain air au XVIIe siècle, il était de son temps par les mœurs. Homme à bonnes fortunes ou ministre, M. de Choiseul menait grandement et du même train les affaires et les plaisirs. Enfin, par son esprit et par sa prodigieuse habileté, par les femmes, que la séduction de sa puissance entraînait, par les parlemens, dont il relevait l’importance et dont il pensait se faire un appui, par les philosophes, qu’il flattait et qu’il attachait à sa cause, il se créa cette popularité immense qui fut l’éblouissement des contemporains, qui le soutint jusque dans ses fautes, survécut à son pouvoir, et ne serait pourtant qu’une curiosité brillante de l’histoire, si, à travers toutes les habiletés mondaines, il n’y avait eu les vues et la ferme trempe d’un politique capable de concevoir la seule pensée patriotique qui se soit fait jour dans le XVIIIe siècle : c’était de fonder l’alliance du midi par le pacte de famille de 1761 et de préparer la France à retrouver sa puissance amoindrie par les dernières guerres.

M. de Choiseul avait évidemment quelques-unes des qualités de l’homme d’état, le coup d’œil, l’esprit d’initiative, la hardiesse de conception, et ce qu’on appellerait de nos jours le sentiment de la grandeur de la France ; il avait en même temps les faiblesses de sa nature, la légèreté et l’étourderie audacieuse. Son grand art était d’éblouir et de gagner l’opinion en dissimulant ses fautes mêmes sous cette brillante aisance qui le faisait appeler par l’impératrice Catherine de Russie le cocher de l’Europe. Ce n’était pas un homme d’état méthodique, c’était un joueur hardi qui réussit tant que Mme de Pompadour fut là ; sa fortune eut une chance de moins à la mort de la marquise en 1764, elle se soutint encore dans l’interrègne des amours royales, et elle fut définitivement menacée en 1769 par l’avènement d’une favorite nouvelle qui était cette fois Mme Du Barry. Il faut se souvenir de ce qui se passait en politique dans ces années de 1765 à 1770, L’Europe était fort troublée au nord. M. de Choiseul avait commis une première méprise ; il n’avait pas cru d’abord à la possibilité d’une alliance de l’Autriche et de la Prusse avec la Russie pour le partage de la Pologne ; il ne crut pas à la durée du règne de Catherine, de cette Sémiramis du Nord qu’il raillait impitoyablement. Une fois tiré de l’illusion par l’évidence des faits, il commettait une seconde faute en se jetant à corps perdu dans toutes les aventures, agitant la Pologne, poussant les Turcs contre la Russie. Il était trop tard : les moyens étaient impuissans. D’un autre côté, M. de Choiseul était tout entier à la pensée de refaire les forces de la France pour prendre une revanche de l’Angleterre. Au dedans, les animosités entre la cour et les parlemens se réveillaient, et le procès du duc d’Aiguillon poussait à bout cette lutte qui conduisait au coup d’état du chancelier Maupeou. Si Mme de Pompadour eût été là, M. de Choiseul eût tenu bon encore