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favorites nouant et dénouant les affaires de la politique, en un mot toute une société qui marche vers sa ruine, en gardant encore ce dernier vernis, ce dernier prestige, l’esprit.

C’est un coin de ce monde que laisse entrevoir cette Correspondance inédite de Mme Du Deffand, dont M. le marquis de Sainte-Aulaire s’est fait le divulgateur, en y ajoutant une intéressante notice, sorte de prologue de cette révélation. Ce qu’était le XVIIIe siècle à un certain moment, entre 1758 et 1780, ces lettres le disent une fois de plus, en ravivant un instant l’image de cette société, en confirmant l’idée qu’on s’était faite de Mme Du Deffand elle-même, en précisant les traits de quelques figures moins connues, comme celles de la duchesse de Choiseul et de l’abbé Barthélémy, qui viennent se grouper autour de l’un des personnages les plus éminens de l’époque, un homme heureux dans son élévation, plus heureux encore dans sa disgrâce, — le duc de Choiseul en un mot, dont le ministère, après avoir duré douze années, finit par un exil éclatant. Ces lettres n’ont vraiment qu’un héros, M. de Choiseul ; elles forment comme l’histoire secrète et la légende mondaine de la chute du premier ministre de Louis XV et de l’exil de Chanteloup. De là l’unité et l’animation de cette correspondance, ou chacun met tous les bruits qu’il recueille, sans oublier ses impressions, ses vivacités et ses humeurs, tout ce qui dévoile les caractères, tout ce qui peint le mouvement intime d’une société qui se passionne pour des riens, faute de s’intéresser aux grandes choses.

Le duc de Choiseul fut un moment le roi, le dictateur tout-puissant de ce monde plein de frivolités, et c’est la fortune de cet habile homme, de petite taille et de figure peu agréable, mais de haute naissance et de manières supérieures, d’avoir eu tous les dehors de la grandeur, d’avoir ressemblé à un contemporain de Louis XIV égaré dans le XVIIIe siècle. Pendant douze années, il tint d’une main ferme et souple les affaires de l’état, animant tout de son esprit, dirigeant alternativement les relations étrangères, la guerre ou la marine, gouvernant aisément de dociles collègues, surtout son cousin, le duc de Praslin, qui ne pensait que par lui, et, après avoir dû son élévation à Mme de Pompadour, se servant à son tour de la favorite, la dominant et devenant même autre chose pour elle. M. de Choiseul fut un des types les plus complets et les plus curieux du grand seigneur homme d’état, du gentilhomme politique. Esprit vif et plein de ressources, causeur brillant, nature déliée et résolue, fastueux dans sa vie, sachant très bien mêler la hauteur et la grâce dans ses rapports, il maniait les affaires avec cette aisance de l’homme qui sait plus par l’expérience du monde que par l’étude de la politique, et qui ne craint pas les difficultés, parce qu’il croit que l’habileté vient à bout de tout. Si d’ailleurs M. de Choiseul tenait