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à Londres qu’on s’enlevait presque toute possibilité de renouer avec eux ; on renonçait à rendre aux rois absolus de certains bons offices, et dans cet isolement forcé il devenait sage et même nécessaire de ménager, de conserver, fût-ce par des sacrifices, le peu d’alliances qu’on pouvait avoir, et surtout celle avec la France, la plus facile et la plus durable, celle qui n’exigeait presque aucun abandon des principes que l’on avait arborés. Enfin il fallait, et c’était là peut-être la première condition, il fallait continuer d’être heureux en tout, et conserver avec une habileté vigilante cette active influence qui partout se fait sentir, et oblige les étrangers, bénévoles ou non, à une juste déférence. Il ne servirait pas de tant parler de la grandeur de l’Angleterre, si, par des malheurs ou des fautes, cette grandeur venait à perdre quelque chose de son prestige.

Or toutes les conditions de ce programme ont-elles été parfaitement remplies, même entièrement comprises par tous les cabinets britanniques ? N’ont-ils pas trop profité de ce que l’opinion nationale semble chaque jour plus détachée des préoccupations diplomatiques, pour négliger les affaires étrangères ? Quand on voyage en Angleterre, on est extrêmement surpris de l’indifférence du public pour bien des questions européennes. Certaines réformes intérieures, certaines difficultés de cabinet absorbent toute l’attention de ce peuple, qu’on se figure possédé de combinaisons ambitieuses. Une école de gens d’esprit et de talent s’est formée, qui soutient qu’il y a duperie à se soucier des choses du dehors, et que le progrès actuel des sociétés est de renoncer à ce genre d’influence qui a la force pour ultima ratio. Je ne dis pas assurément que cette école domine le gouvernement ; mais elle devance, elle représente en l’exagérant un mouvement utilitaire et pacifique qui se manifeste au sein de la nation anglaise, et qui, en l’entraînant, l’étourdit sur le reste. Cette disposition en soi peut avoir quelque chose d’humain, de philanthropique, de chrétien même : elle tient aussi à un sentiment de personnalité dont les nations peuvent être atteintes comme les individus, et il leur siérait mal de tomber dans le quiétisme économique. Aussi, comme on n’y tombe pas tout à fait, comme certains intérêts d’honneur ou de puissance parlent trop haut pour que des ministres bons citoyens cessent jamais de les entendre, la revendication subite qu’ils en font après tant de protestations d’indifférence paraît fantasque et blessante, et elle n’est pas toujours écoutée, ou elle est repoussée par la doctrine qu’ils ont eux-mêmes accréditée, à savoir que chacun doit se mêler de ses affaires. Ces exceptions inattendues à un système de tolérance générale et d’activité tout intérieure ne trouvent ainsi ni accueil ni crédit. On rencontre des esprits prévenus, des habitudes prises, et l’on