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Enfin ne craignons pas de comprendre dans cette revue des opinions en France celle même du gouvernement. On ne peut nous supposer la prétention d’être ses confidens ni ses interprètes ; mais c’est un fait notoire que, tandis qu’il s’est attaché à remettre en vigueur au dedans les traditions du premier empire, il les a écartées de la politique extérieure, et dans cent occasions il a tenu à l’égard de l’Angleterre une conduite et un langage qui démentaient formellement les exemples du Moniteur universel entre 1800 et 1814. S’il y a des engagemens politiques au monde, ce sont les déclarations par lesquelles le cabinet français a, depuis dix ans, incessamment témoigné qu’il regardait le concert avec l’Angleterre comme une des bases de son système. Il faudrait donc des circonstances bien nouvelles, des événemens bien décisifs, pour qu’au mépris de tant d’engagemens, à l’encontre de tant d’intérêts et d’opinions, on dût changer tout d’un coup d’intentions et d’allures, et marcher, par la froideur des relations et la contrariété des conduites, à un antagonisme précurseur d’une rupture ouverte. Voyons si rien dans la marche de l’Angleterre prescrit ou seulement autorise une telle révolution.

L’Angleterre ne saurait ignorer que sa situation a souffert en Europe depuis quelques années. Son rôle et ses succès dans les événemens qui avaient amené les traités de 1815, la tranquillité et la prospérité incomparables dont elle a joui depuis cette époque, lui avaient fait beaucoup d’envieux sur le continent. La fortune constante de son gouvernement était la plus amère satire de plus d’un gouvernement européen. Ce double grief, dont elle peut s’enorgueillir, la liberté de sa tribune et la liberté de ses journaux, n’étaient point de nature à lui ramener la bienveillance des cabinets. Son langage ordinaire était peu propre à désarmer les inimitiés jalouses qu’excitaient sa sécurité et sa grandeur. Il y avait là de l’inévitable, et nous ne sommes pas de ceux qui reprocheront au peuple anglais, en eût-il abusé, sa liberté ; mais l’heureuse révolution qui, vers 1827, s’est opérée et de plus en plus développée dans ses doctrines ministérielles a achevé de lui faire perdre la sympathie de plus d’une cour, et pendant longtemps elle ne s’est entendue qu’avec la France. La non-intervention, l’indépendance nationale, les droits des peuples, l’utilité des réformes constitutionnelles, voilà les principes qu’avec plus ou moins de fidélité la diplomatie britannique a communément professés, sans prêter une oreille bien favorable aux doléances et aux alarmes de plus d’une monarchie en détresse. Tout cela était à peu près commandé par le cours naturel des choses ; mais, en occupant cette situation à part, en faisant schisme avec presque tous les signataires des anciennes coalitions, on devait sentir