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ni la grandeur des vues de l’homme d’état, n’emportaient son jugement au-delà des nécessités de sa situation. Il fit la guerre, parce qu’il vit qu’on l’attendait du pouvoir, et son pouvoir, c’était sa cause. Il fit la guerre, mais avec plus de fierté que d’ardeur, avec plus de fermeté que d’habileté. Il ne faut pas juger Pitt sur son attitude dans le parlement : là, il est tout ce qu’il veut paraître, et jamais art plus profond, tact plus sûr, instinct plus rapide, jamais plus de prudence dans la facilité, plus de dignité dans l’artifice, plus de hardiesse dans la mesure, n’ont été au service de l’orateur de gouvernement. Malheureusement, lorsqu’il faut agir, imposer au pays des sacrifices, préparer des forces et des opérations, soulever le poids de l’Europe armée, la raideur et la circonspection viennent enrayer les déterminations de l’homme d’état. Il faut voir dans la biographie de Pitt que vient de publier lord Macaulay, et qui est placée au premier rang de ses écrits[1], tout ce que la sagacité et la justice de la postérité doivent ôter au grand ministre des torts et des mérites que lui attribuaient ses contemporains.

Quand on parle de Pitt, on parle de son premier ministère. Il lui est arrivé ce qui était arrivé à son père : sa dernière administration a été à peine digne de lui. Du moins n’a-t-il pas eu le temps d’en racheter la formation par le succès, et il est mort malheureux. Mais sa première administration elle-même, terminée par cette guerre de huit ans qui l’a fait tant admirer et maudire, n’a pas entièrement donné gain de cause à la politique belliqueuse. Rendons grâce à la Providence : tant que la France a défendu la révolution française, de Valmy à Marengo, elle a triomphé, et sa puissance était à sa véritable apogée quand l’Angleterre fut amenée à la paix, que Pitt avait désirée plus tôt, et qu’il aurait faite lui-même sans George III.

Or maintenant que reste-t-il des causes de cette guerre ? Les passions qui nous l’ont fait entreprendre nous animent-elles encore, et quelle provocation les vient réveiller ? Elles manqueraient de prétexte pour renaître et d’aliment pour vivre. Du côté de l’adversaire, les passions qui ont soutenu la guerre ont aussi bien disparu que les principes qui l’ont colorée. Où sont ces préjugés oppressifs auxquels on prétendait reconnaître les Anglais pour des ennemis du genre humain ? Qui des conseillers présens ou passés de la reine Victoria pense un moment à contester à la France, à personne, le droit de se constituer à sa guise, et dans quel pays est-il plus unanimement admis que les nations sont libres de se donner, si elles peuvent, le gouvernement de leur choix ? Les causes de la guerre de la révolution

  1. Cet ouvrage a été inséré dans le tome XVII de l’Encyclopœdia Britannica, qui a paru cette année à Edimbourg. Quoique beaucoup plus étendu qu’un article biographique ordinaire, c’est encore un abrégé, mais qui se lit avec un vif intérêt, et qui porte l’empreinte d’un talent supérieur.