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pour me donner tout entier au plaisir de leur apprendre bien des choses qu’ils ignoraient. Le plus jeune des pêcheurs, celui qui m’écoutait avec le plus d’intérêt, avait, je ne sais où, entendu parler d’Athènes. Il m’interrompait souvent. « On dit qu’il y a de bien beaux temples à Athènes ! On sculpte de belles statues à Athènes ! L’université d’Athènes est la plus célèbre du monde entier, n’est-ce pas ? Aucune langue n’est aussi belle que le latin d’Athènes ? » Chose étrange que cet écho lointain de la Grèce sur les dunes de l’Atlantide ! La gloire de Phidias et de Périclès a mis deux mille ans à franchir les mers, et maintenant des pêcheurs américains s’en entretiennent, comme si cette gloire était encore la plus rayonnante de l’ancien monde !

Je ne quittai mes nouveaux amis qu’à la nuit tombante. La voile fut hissée sur le mât pliant du bonguito, et peu de minutes suffirent pour nous faire perdre de vue les arbres de la rive. Je pris les mêmes précautions que la nuit précédente, et je restai les yeux braqués sur ceux qui m’inspiraient une si grande méfiance. Je ne cessai un instant de voir distinctement le patron tenant le gouvernail et le métis assis à côté de la voile ; cependant mon état de veille n’excluait pas un certain sommeil, et tous les objets qui passaient sous mes yeux grandement ouverts réapparaissaient comme autant de chimères entrevues dans un rêve. Les vagues noires que notre bonguito fendait avec bruit prenaient des formes fantastiques et comme des traits grimaçans ; les herbes flottantes au milieu desquelles nous passions me semblaient de grandes îles couvertes d’arbres touffus et volant sur la surface des eaux avec la vitesse des hippogriffes. Tout à coup je vis ou plutôt je devinai que nous nous arrêtions sur la rive à l’embouchure d’une vallée ; le métis descendit du bonguito, et le petit esquif recommença sa course désordonnée. Aussitôt je m’endormis d’un sommeil profond. Quand je me réveillai, il était matin, le métis avait en réalité disparu, et le bateau jetait l’ancre dans un petit port à côté d’autres embarcations. Sur la plage, je voyais les cabanes du village de Pueblo-Viejo. C’était jour de marché : des noirs et des Indiens allaient et venaient devant les huttes, offrant leurs poissons en hurlant à tue-tête.

Après avoir renouvelé à Zamba Simonguama la promesse d’aller le visiter à Bonda, je sortis du bateau et je courus m’enquérir dans le village des moyens d’arriver à Sainte-Marthe. Pour m’y rendre par mer, j’aurais dû attendre plusieurs jours le départ d’un grand bongo, je préférai louer un mulet pour porter mes bagages et aller moi-même à pied. La distance de Pueblo-Viejo à Sainte-Marthe est de 40 kilomètres environ : il n’y avait pas là de quoi m’effrayer, et, dès que j’eus trouvé un mulet, je me mis résolument en route, accompagné