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de Salamanca, qui sépare la haute mer de la Cienega, ressemble aux Nehrungen de la Mer-Baltique et à cette remarquable flèche d’Arabat, baignée d’un côté par la mer d’Azof, de l’autre par la Mer-Putride. Comme toutes les péninsules de même nature, la péninsule de Salamanca a été formée à l’entrée du marais par suite du ralentissement des vagues chargées de sable : celui-ci s’est déposé peu à peu en un cordon littoral ; puis les vents y ont amoncelé des dunes errantes qui se promènent çà et là, excepté dans les endroits où elles rencontrent une forêt qui leur oppose la barrière infranchissable de ses troncs. Une seule ouverture fait communiquer à travers la flèche de Salamanca les eaux saumâtres et chaudes de la Cienega avec l’eau comparativement plus fraîche de la mer des Antilles.

La plage où nous débarquâmes était ombragée de mancenilliers et de quelques arbres dont les branches pendantes ressemblaient à celles de nos saules pleureurs ; plus de cinquante barques étaient attachées à des racines et se balançaient à côté l’une de l’autre ; des groupes nombreux de pêcheurs étaient épars çà et là autour de grands feux allumés sur le sable des dunes ; une affreuse odeur de poisson empestait l’atmosphère. Laissant mes effets à la garde de mon nouvel ami Zamba, je m’empressai de traverser les groupes, et montant sur la plus haute dune, j’interrogeai l’horizon pour trouver aussi rapidement que possible mon chemin vers la mer. Je l’atteignis bientôt en me glissant à travers des fourrés de mangliers noirs et d’arbustes épineux. La plage sablonneuse s’étendait à perte de vue en un vaste demi-cercle de l’embouchure de la Cienega à celle du Rio-Magdalena ; à l’est apparaissaient les promontoires escarpés de Gaïra et de Sainte-Marthe, dominés par les bleus sommets de la sierra ; devant moi, les vagues, poussées par une forte brise, venaient, hautes et pressées, bondir l’une après l’autre sur le sable. Fatigué comme je l’étais des lagunes d’eau stagnante, des fanges nauséabondes, de l’air tiède et immobile des marais, je respirai avec délices cet air vif, saupoudré de l’écume des vagues.

Quand je revins vers le campement des pêcheurs, je ne réussis pas, comme la première fois, à échapper aux questions, et, malgré moi, je dus m’asseoir sur le sable à côté de plusieurs métis qui faisaient sécher des poissons à la fumée d’un feu de bois vert. Mon ami Zamba avait évidemment chanté mes louanges, car mes interlocuteurs ne manquèrent pas d’entamer tous les sujets dont je m’étais entretenu avec l’Indien ; il me fallut donc discourir pendant plusieurs heures, parler de Madrid, de Paris et de Londres, causer industrie, sciences et arts. Ces avides questionneurs m’écoutaient avec joie, et moi-même, heureux de trouver des auditeurs si bénévoles, j’oubliai l’odeur limoneuse des poissons et la fumée suffocante