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IV

Nous venons de présenter, d’après les documens officiels, l’historique des négociations qui ont abouti au traité de Tien-tsin. Il n’y a eu de difficulté vraiment sérieuse que pour arracher aux commissaires impériaux le droit d’entretenir une ambassade permanente à Pékin. La plupart des autres points (et dans le nombre il en est de fort importans) paraissent avoir été concédés sans trop de résistance ; mais, sur cette question unique, les Chinois ont lutté jusqu’au dernier moment, et leurs suppliantes protestations râlaient encore pour ainsi dire après la signature du traité. Les instructions que l’ambassadeur anglais avait reçues de son gouvernement ne lui commandaient pas, en termes absolument impératifs, d’obtenir l’entrée dans la capitale ; cependant tout le monde regardait alors cette condition comme indispensable : on comptait qu’elle serait le prix de négociations confiées à des ambassadeurs extraordinaires, et, comme lord Elgin l’a répété maintes fois dans sa correspondance, c’était aussi bien dans l’intérêt du Céleste-Empire qu’au profit de l’Europe qu’on souhaitait l’établissement de rapports diplomatiques directs avec la cour de Pékin. On s’explique donc l’ardente obstination avec laquelle lord Elgin se montrait, dès son arrivée en Chine, résolu à exiger cette clause, qui devait être à ses yeux, comme aux yeux du public européen, le triomphe et l’honneur de sa mission ; mais à Tien-tsin on venait de lui remettre entre les mains de nouveaux documens qui pouvaient, à ce qu’il semble, jeter au moins quelques doutes dans son esprit. Les ridicules dépêches de mandarins qui avaient été trouvées dans les archives de Canton indiquaient nettement le caractère de la concession que l’on se proposait de demander aux Chinois. Lord Elgin savait maintenant, à n’en plus douter, qu’une immense question de principe, qu’un germe de révolution était renfermé dans cette formalité internationale, qui, selon nos idées, nous paraît si simple. Il lisait dans les dépêches de Canton que les mandarins, en 1854, avaient reculé d’épouvante devant une pareille proposition, qu’ils avaient osé à peine en parler à l’empereur, que la capitale, séjour du souverain céleste, est pour les Chinois un sol sacré, inviolable. Ce n’est pas tout : il avait auprès de lui des Anglais, connaissant depuis longtemps la Chine, qui n’approuvaient pas entièrement ses vues sur Pékin. Le consul de Shang-haï se hasardait à dire, dans l’un de ses rapports, que l’établissement d’une ambassade permanente à Pékin serait une affaire pleine de difficulté dans le présent, plus dangereuse encore pour l’avenir. Il demandait au moins que, pour commencer, pour battre le terrain, ou, comme