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condition qui indispose tant les Chinois n’est expressément inscrite que dans le traité anglais ; les autres pays n’ont à s’en prévaloir qu’aux termes de la clause générale par laquelle ils se sont réservé le traitement de la nation la plus favorisée. S’ils établissaient des ambassades à Pékin, nous agirions immédiatement de même. En retour du bon vouloir que je leur ai montré, les commissaires m’ont accordé avec empressement l’autorisation de remonter le Yang-tse-kiang, bien que je n’en aie pas strictement le droit, les ratifications n’étant pas échangées, et je compte beaucoup sur l’effet moral de cette course dans les eaux intérieures de la Chine[1], etc. »

Telles étaient les considérations développées par lord Elgin pour justifier sa conduite. N’oublions pas un dernier argument, dont on reconnaîtra la provenance toute chinoise. On se souvient de la tendre sollicitude que les commissaires impériaux manifestaient pour la santé des Européens qui seraient condamnés à vivre à Pékin. Un climat si froid ! un air si malsain ! Ces raisons avaient été prises pour ce qu’elles valaient. Voici maintenant que lord Elgin s’en empare. Il dit à son tour que les hivers à Pékin sont très rudes ; d’après M. de Humboldt, le thermomètre baisse à 40 degrés (Fahrenheit) au-dessous de zéro, le fleuve Pei-ho est gelé, le golfe du Petchili est inabordable. Décidément le séjour de Pékin aurait peu d’agrémens pour un ambassadeur et sa famille ! Les mandarins, à bout de raisons, n’avaient pas mieux dit. Nous ne ferons pas au noble lord l’injure de comparer les dépêches qu’il écrit à son ministre avec celles qu’un mandarin écrit à l’empereur de Chine ; mais voyez la tyrannie des situations ! Ce n’est pas seulement à lord Malmesbury, c’est en même temps à un potentat non moins redoutable, plus exigeant et quelquefois aussi aveugle que celui qui trône à Pékin, c’est à l’opinion publique que l’ambassadeur adresse son rapport. Il comprend que son dernier acte pourra être mal apprécié et sévèrement critiqué ; il cherche partout des argumens, jusque dans les astres, et il accumule les preuves. — Lord Elgin ne se trompait pas ; approuvée par le gouvernement anglais, la concession de Shang-haï causa d’abord dans le pays un vif désappointement, et ceux-là seuls qui ont lu la correspondance récemment publiée ont pu se rendre compte des sentimens et des motifs qui ont déterminé ce dernier acte.

  1. Lord Elgin fit en effet ce voyage pendant les mois de novembre et de décembre. Il remonta, avec cinq navires de guerre, le cours du Yang-tse-kiang jusqu’à Han-tcheou, à 600 milles de la mer, bien au-delà de Nankin. Il a consacré une intéressante dépêche au récit de cette excursion pages 440 et suiv. du blue-book.