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aux mandarins son intention de se rapprocher de la capitale, et les somma de livrer aux alliés les forts de Takou, qui commandent l’entrée du Pei-ho. Ces positions furent occupées le même jour après un combat de deux heures, et le 29 mai lord Elgin, le baron Gros, ainsi que M. Reed et le comte Poutiatine, avaient remonté le fleuve, jusqu’à Tien-tsin. Il n’est pas inutile de faire remarquer que la sommation de livrer les forts avait été communiquée aux ministres de Russie et des États-Unis, qui avaient donné leur approbation pleine et entière à l’attaque projetée, et qui profitèrent immédiatement de la brèche ouverte par les canons des alliés.

Le 23, après la prise des forts, Taou s’était empressé d’écrire à lord Elgin une lettre assez amicale. Il attribuait les hostilités à un malentendu, en ajoutant qu’il partait pour Pékin en toute hâte, afin de prendre les ordres de l’empereur, et que les navires anglais ne devaient pas aller plus avant. Quand les ambassadeurs furent à Tien-tsin, nouvelle dépêche de Taou, communiquant un décret impérial du 29 mai, par lequel Kouei-liang, principal secrétaire d’état, et Houa-shana, président des affaires civiles, étaient invités à se rendre à Tien-tsin pour s’entendre avec les étrangers. Ces deux dignitaires arrivèrent le 2 juin, et suivant l’usage ils envoyèrent aux ambassadeurs leurs cartes de visite, qui indiquaient tous leurs titres, et entre autres ceux de « plénipotentiaires investis de toute l’autorité nécessaire pour agir suivant les circonstances. » Une première entrevue eut lieu le 4 pour l’échange des pouvoirs : lord Elgin éleva encore quelques objections sur les termes du décret qui accréditait les mandarins ; il trouva la rédaction ambiguë, dit qu’il avait à réfléchir avant de commencer la négociation, et rompit brusquement la conférence, au grand désespoir des Chinois, qui firent tout au monde pour le retenir. Une discussion par écrit s’engagea bientôt après sur un autre détail : les mandarins n’étaient point munis du sceau impérial, et lord Elgin exigeait que, suivant les usages diplomatiques, ils fussent munis de cet instrument. Ces escarmouches durèrent plusieurs jours, le ministre anglais prenant, dès le début, un ton d’autorité contre lequel ses adversaires épuisaient vainement leurs bonnes et mauvaises raisons. Lord Elgin se défiait-il réellement de la sincérité des Chinois, et jugeait-il indispensable d’assurer dans les moindres détails la régularité des opérations ? Ou bien était-ce par tactique qu’il montrait tout d’abord une extrême raideur, afin de convaincre les mandarins qu’il ne se contenterait pas de vaines paroles, à l’exemple de ses trop faciles devanciers ? Chacun de ces deux motifs eut probablement sa part d’influence sur l’attitude de l’ambassadeur. Kouei-liang et Houa-shana protestèrent de nouveau de l’étendue suffisante de leurs pouvoirs ; ils répétèrent