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donc que votre départ était comme une rupture dont vous preniez l’initiative…

— Pardon ! mon cher monsieur, m’écriai-je : les choses ne se sont point passées ainsi. C’est elle qui m’a rendu ma parole.

— Et pourquoi diable l’avez-vous reprise ? Ne savez-vous pas que si on vous l’a rendue, c’est parce que votre mère avait provoqué cette décision pénible ? N’avait-elle pas écrit à M. Butler pour le mettre au pied du mur, en lui disant que vous dépérissiez, et qu’il vaudrait beaucoup mieux pour vous n’avoir plus aucun espoir ?… M. Butler me montra la lettre, et je fus d’avis qu’il fallait agir selon le désir de votre mère, puisqu’à cette époque Hope était fort malade, et qu’il n’était pas possible d’assigner un terme à sa maladie.

— On a beaucoup exagéré la maladie de Hope !

— Dites, monsieur, qu’on l’a beaucoup dissimulée ! C’était une maladie nerveuse, et je vous dirai tout bas que, par momens, on a craint l’épilepsie. Or vous savez que l’on cache avec soin ce mal, qui peut réagir sur l’imagination de ceux qui entourent le malade, sur les jeunes sujets particulièrement. Aussi n’a-t-on jamais prononcé ce mot-là devant miss Love. Grâce au ciel, toute inquiétude est dissipée ; mais sachez bien que, pendant que vous nous accusiez, nous n’étions pas sur des roses.

— Pourquoi m’avoir caché alors ce que vous m’avouez maintenant ? Si au moins Love eût pris le soin d’adoucir mon désespoir par sa pitié ; mais elle m’écrivait : Soumettons-nous, comme si c’eût été la chose la plus simple et la plus aisée !

— Love a ignoré votre désespoir. Elle a su que vous aviez du chagrin, mais nous lui avons caché avec soin l’excès de votre passion : n’était-elle pas assez à plaindre sans cela ?

— Love n’a rien ignoré : je lui écrivais !

— Love n’a pas reçu vos lettres. M. Louandre les remettait à son père, qui les lui rendait sans les lire.

— Alors je vois qu’en effet elle a été moins cruelle pour moi que je ne le pensais. Peut-être n’ai-je le droit de lui adresser aucun reproche ; il n’en est pas moins vrai qu’elle m’a oublié, et que dernièrement encore elle se félicitait d’avoir conservé sa liberté : on me l’a dit !

— Et on ne vous a peut-être pas trompé. Eh bien ! quand cela serait ? De quel droit exigiez-vous une douleur incurable quand vous quittiez la partie ? Et qu’est-ce donc que votre amour, mon cher monsieur, si vous n’avez pas l’humilité de vous dire que miss Love était une personne au-dessus de tous et de vous-même ? Si, par votre force morale et par la culture de votre intelligence, vous êtes devenu digne d’elle, n’est-il pas de votre devoir de chercher à vous