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même familiarité cosmopolite que son père. — Allons, vous avez là une obstination estimable, dit-il, et je cède. Seulement touchez-moi légèrement, je suis maigre et douillet malgré moi.

— Un bon guide, répliquai-je, doit avoir des mains de fer doublées de coton. Votre sœur vous a-t-elle dit que je lui eusse fait du mal ?

— Ma sœur se loue beaucoup de vous, et elle m’a même dit qu’elle vous avait embrassé pour vous remercier. Cela a dû vous étonner, Jacques ; mais il faut que vous sachiez que c’est une coutume dans notre pays, quand une femme se laisse porter par un homme, fût-elle reine et fût-il simple matelot.

— Je ne savais pas ça, répondis-je en riant du mensonge ingénieux de Hope : votre sœur me l’avait expliqué autrement ; mais soyez tranquille, je n’en suis pas plus fier.

Hope, tout à fait rassuré, se prit alors d’une confiance extraordinaire en mon bon sens et en ma discrétion. — Jacques, me dit-il après avoir un peu réfléchi aux questions qu’il voulait m’adresser, vous avez connu particulièrement ce jeune comte de La Roche à qui j’ai écrit hier ?

— Oui, monsieur.

— Il était aimé dans son entourage ?

— Oui, monsieur, il n’était pas méchant ni avare.

— Cela, je le sais. On m’a toujours dit du bien de lui… Et on a dit aussi qu’il avait eu de grands chagrins.

— Oui, à cause d’une demoiselle qui n’a pas voulu de lui. Tout le pays a su ça.

— Et le nom de cette demoiselle ?

— Si je comprends un peu ce que je vois et ce que j’entends, j’ai dans l’idée que c’est la demoiselle votre sœur.

— Pourquoi avez-vous cette idée ?

— Parce que j’ai su dans le temps, du moins on disait ça, que la demoiselle était Anglaise, et qu’elle avait un petit frère qui ne voulait pas la laisser marier.

— Et vous en concluez que ce petit frère, c’est moi ?

— Oui, monsieur, à moins que la chose ne vous fâche. Vous sentez que ça m’est égal, à moi, ces affaires-là !

— La chose me chagrine, Jacques ; mais, comme c’est la vérité, elle ne me fâche pas. Je sais que j’ai eu tort. Que feriez-vous à ma place pour réparer une pareille faute ?

— J’écrirais une lettre au jeune homme pour le faire revenir ; mais c’est peut-être pourquoi vous avez écrit hier, et vous avez bien fait.

— Et croyez-vous que le jeune homme reviendra ?