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Love en me disant de sa part que, puisque j’avais eu si chaud pour la porter en remontant le vallon de la Roche-Vendeix, elle voulait me préserver d’un refroidissement.

Nous avions d’excellens petits chevaux bretons qui nous firent rapidement courir le long des rampes de la curieuse vallée de Saint-Sorgues, toute hérissée de cônes volcaniques, plus élevés et plus anciens que ceux de la route de Saint-Nectaire. Jamais je ne vis le pays si beau qu’au début de cet orage, quand la pluie commença à étendre successivement ses rideaux transparens sur les divers plans du paysage avant que le soleil rouge et menaçant eût fini de s’éteindre dans les nuées ; mais ce spectacle magique dura peu. L’averse devint si lourde et si épaisse qu’on ne respirait plus. La foudre même ne pouvait l’éclairer, et nous courions dans un demi-jour fauve et bizarre, oppressés par l’électricité répandue dans l’air, assourdis par le tonnerre et emportés par nos intrépides poneys comme des pierres qui roulent sans savoir où elles vont.

Pour moi, enveloppé du manteau de Love et tout ému encore de l’avoir sentie elle-même contre mon cœur, d’où j’essayais en vain de chasser son culte, je m’assoupissais dans une rêverie fiévreuse et sensuelle, ne me rendant plus compte de rien, et remettant au lendemain la douleur et la fatigue de réfléchir.

XXII.

Quand nous fûmes de retour à l’hôtel, je la pris encore dans mes bras pour la porter à sa chambre. Quoique mince de corsage et très élancée de formes, elle était relativement lourde, comme les corps dont les muscles exercés ont acquis le développement nécessaire à l’énergie physique. Il n’y avait rien d’étiolé dans cette fine nature, et si l’élégance de sa silhouette la faisait quelquefois paraître diaphane, on était surpris, en la soulevant, de sentir la solidité, on pourrait dire l’intensité de sa vie.

J’avais donc fait un effort surhumain pour remonter avec ce cher fardeau le versant rapide et assez élevé du vallon de la RocheVendeix. Je ne m’en étais pas aperçu ; mais quand je montai l’escalier de l’hôtel, je sentis qu’en dépit du repos que j’avais pris en voiture, les forces me manquaient tout à coup pour ce dernier petit effort. Je fus obligé, pour ne pas tomber avec elle, de l’asseoir un instant sur mon genou à la dernière marche. Elle ne s’y attendait pas, et, croyant que je la laissais choir, elle jeta instinctivement ses bras autour de mon cou, et sa joue effleura la mienne. J’étais barbu, poudreux, affreux. Je reculai vivement mon visage, en lui disant de ne rien craindre. Je la repris sur mes deux bras, et je la