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cent, et dans tous les cas la lettre pouvait être égarée ou montrée sans être comprise par les indifférens.

Cette généreuse et soudaine résolution me donna pourtant à réfléchir. Je craignais, de la part de Hope, que ce ne fût une réparation désespérée de ses fautes, suivie de quelque funeste parti-pris. Je retournai près de lui pour lui dire que j’avais fait sa commission sans être vu, et que, d’après l’heure, je pensais que son père devait songer à se remettre en route. Je le trouvai calme et presque souriant. Son orgueil était satisfait. Il se leva sans rien dire, et revint au hangar autour duquel M. Butler errait en consultant de l’œil tous les sentiers ; mais le pauvre père s’arma d’un flegme britannique en voyant reparaître l’enfant de ses entrailles. Hope alla droit à lui et lui tendit la main. Ils échangèrent cette étreinte de l’air de deux gentlemen qui se réconcilient après une affaire d’honneur, et il n’y eut pas un mot prononcé ; seulement le fils disait assez, par sa physionomie fière et franche, qu’il avait tout accepté, et le père approuvait, sans descendre à remercier, tandis qu’au fond de ses yeux humides il y avait une secrète et ardente bénédiction.

Un instant je me crus le plus heureux des hommes. L’obstacle semblait aplani. Hope était au demeurant un noble esprit et un brave cœur d’enfant. Gâté par trop de tendresse ou de condescendance, il fallait que son naturel fût excellent pour s’être conservé capable d’un si grand effort après une si courte lutte contre lui-même et une si longue habitude de se croire tout permis. M. Butler, en dépit de son besoin d’atermoiemens et de sa répugnance à exister dans le monde des faits moraux, était au besoin assez vif dans ses décisions, et s’il n’était pas capable de lutter avec suite, du moins il savait trouver dans son cœur et, dans sa raison des argumens assez forts pour convaincre à un moment donné. D’ailleurs cette autorité si rarement invoquée ne devait-elle pas paraître plus imposante quand elle faisait explosion ? J’eusse donc pu voir l’avenir possible et même riant, si Love m’eût aimé ; mais elle m’aimait si peu, ou avec tant de philosophie et d’empire sur elle-même ! Sans doute elle m’avait bien peu pleuré, puisqu’une larme d’elle était si remarquée et avait paru un cas si grave à son père inquiet et à son frère jaloux ! Et moi, que de torrens de pleurs j’avais versés pour elle ! Elle était bonne fille, et ses yeux s’humectaient un peu à mon souvenir ; elle parlait de moi avec un certain intérêt, et elle n’avait pas été fâchée d’apprendre que je n’étais pas mort dans quelque désert affreux ou par quelque tempête sinistre : n’avait-elle point dit cependant à M. Louandre que, toute réflexion faite, elle se trouvait plus heureuse dans sa liberté, et que la vie n’était pas assez longue pour s’occuper de sciences naturelles et d’amour conjugal ?