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dites-moi quelque chose que je veux savoir. Est-il vrai que M. Jean de La Roche soit vivant ? Est-il revenu dans son château par hasard ? En êtes-vous sûr ? L’avez-vous vu ?

— Je n’ai pas dit cela, répondis-je sans songer davantage à copier l’air et l’accent montagnards ; j’ai dit qu’il était vivant.

— Et qu’il n’était pas marié ? reprit le jeune homme, trop préoccupé pour remarquer mon changement de ton.

— Et qu’il n’était pas marié.

— Et où est-il maintenant ? Les gens de sa maison doivent le savoir ?

— Sa vieille gouvernante le sait.

— Alors, si je vous remettais une lettre pour lui, vous iriez la lui porter tout de suite, et elle la lui ferait parvenir ?

— Elle l’aura plus vite si vous la mettez à la poste.

— Y a-t-il un bureau de poste à ce hameau qu’on voit d’ici ?

— J’ai remarqué sur la route, beaucoup plus près, une boîte aux lettres.

— Eh bien ! attendez, je veux écrire à l’instant même, et vous jetterez la lettre à la boîte sans que personne vous voie. Donnez-moi le nécessaire à écrire qui est dans ma sacoche.

Je fouillai dans la sacoche, que j’avais sur le dos, et j’y trouvai ce qu’il demandait. Il écrivit rapidement et d’inspiration, puis il cacheta, et me demanda le nom de la gouvernante, après quoi il me remit le paquet. Je feignis de m’éloigner, mais je me cachai à trois pas de là et j’ouvris la lettre qui était à mon adresse sous le couvert de Catherine. Elle contenait ce peu de lignes :

« Mon cher comte, je viens de recevoir de vos nouvelles pour la première fois depuis trois ans, et je suis si heureux d’apprendre que vous êtes encore de ce monde que je veux vous le dire tout de suite. Ne soyez pas étonné de recevoir une lettre de moi, que vous avez peut-être oublié ; mais je ne suis plus un enfant, j’ai quinze ans, et je me rappelle les bontés que vous aviez pour moi, ainsi que l’intérêt que vous preniez à ma santé. Elle est excellente maintenant, et ne donne plus d’inquiétude à mes chers parens, qui me chargent de les rappeler à vos meilleurs souvenirs. Tous trois nous avons le sincère désir de vous revoir, et j’espère que vous ne tarderez pas à revenir en France.

« Hope Butler. »

Je remarquai la prudence et la clarté de cette lettre, qui devait me rendre l’espérance sans compromettre personne. Dans le cas où j’aurais cessé d’aspirer à la main de Love, on pouvait mettre les avances que je recevais sur le compte de la simplicité d’un adoles-