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place à côté de vous dans mon cœur et dans ma famille. Dites-vous bien à vous-même que cela doit être et sera, et si votre santé doit souffrir du dépit que cela vous cause, sachez que j’aime mieux vous voir mort qu’ingrat et lâche.

Ayant ainsi parlé, M. Butler retomba comme étouffé sur le tas de paille qui lui avait servi de siège. Hope était toujours assis par terre sur des copeaux. Il resta immobile, pâle, et le sourcil contracté ; puis, après un silence que le père ne voulait pas rompre le premier, le jeune homme se leva comme pour sortir du hangar.

— Vous n’avez rien à répondre ? lui dit M. Butler avec effort.

— Non, répondit l’orgueilleux enfant d’un faux air de soumission : puisque vous avez exprimé votre volonté, je n’ai rien à dire.

— Et rien à me promettre ?

— J’ai à obéir, vous l’avez dit.

— Obéirez-vous du moins avec le cœur ? car la soumission passive que vous affectez ressemble à une protestation !

— Mon cœur n’a rien à voir là-dedans, que je sache, puisque c’est à lui précisément que vous imposez silence. Permettez-moi de réfléchir sur ce que ma conscience peut avoir à me prescrire.

Et il disparut, laissant son père anéanti.

Dès qu’il se vit seul, M. Butler, qui avait complètement oublié ma présence, fondit en larmes. Je ne pus supporter le spectacle de cette douleur, et je m’approchai de lui, résolu à lui tout avouer, à lui demander pardon des peines que je lui causais et à lui dire adieu pour toujours ; mais dès qu’il me vit, il me prit les mains avec l’expansion d’un père en proie à l’inquiétude. — Mon brave Jacques, me dit-il, suivez mon fils. Nous nous sommes querellés, et je crains Je ne sais pas ce que je crains ! Suivez-le, vous dis-je, et s’il vous renvoie, ayez l’air de le quitter, mais ne le perdez pas de vue. Allez, mon ami, allez vite ! Mais, ajouta-t-il en me rappelant, si vous lui parlez, ne lui dites pas que je suis inquiet. Vous avez des enfans, vous savez qu’il faut avoir quelquefois l’air de ne pas les aimer quand ils ont tort !

J’obéis. Je suivis Hope à distance. Je le vis s’enfoncer dans le bois et se jeter à plat ventre dans les herbes, la tête dans ses mains, et agité de mouvemens convulsifs ; mais cette crise, que je surveillais attentivement, dura peu : il se releva, marcha au hasard, faisant des gestes, et arrachant des poignées de feuillage qu’il semait follement autour de lui. Au bout de quelque cent pas, il se calma, s’assit, parut rêver plutôt que réfléchir profondément, et, se retournant tout d’un coup pour revenir sur ses traces, il m’aperçut à peu de distance de lui.

— Jacques, me dit-il d’une voix brève, venez ici, je vous prie, et