Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/542

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que j’ai cru bon jusqu’à ce jour. Eh bien ! ce jour où nous voici amène pour moi une découverte, un nouveau point de vue sur ces choses du cœur que vous ne me paraissez pas suffisamment comprendre. Voici pourtant l’âge venu pour vous de ne plus abuser du droit que l’on accorde aux enfans d’émettre des volontés dont ils ne sentent pas la portée et dont ils ne prévoient pas les conséquences. Vous avez été jaloux de mon affection et de celle de votre sœur au point de nous menacer de mourir, si nous admettions un nouveau-venu dans la famille…

— Menacer ! s’écria Hope ; moi ! j’ai menacé de mourir… Pardon, mon père, mais je ne mérite pas ce que vous me dites là. Tout enfant que j’étais, je n’aurais jamais dit une si mauvaise parole, et si j’ai été malade d’inquiétude et de chagrin, croyez-vous donc que ce soit ma faute ?

— Non, ce n’était pas votre faute, et vous n’avez pas menacé volontairement. Votre force morale ne pouvait pas encore réagir contre un mauvais sentiment. Vous étiez trop jeune, et votre santé était trop réellement compromise ; mais aujourd’hui, mon cher Hope, vous vous portez bien et vous avez l’âge de raison. Persistez-vous à interdire à votre sœur le mariage et le bonheur d’être mère ?

— Je vois bien, mon père, qu’il y a quelque nouveau projet, et que l’on n’a pas appris sans joie que M. de La Roche n’était ni mort ni marié.

— Eh bien ! si Love a ressenti cette joie, et si elle se souvient d’avoir aimé ce jeune homme !…

— Aimé un inconnu ! un homme qu’elle a vu huit ou dix fois ! Croyez-vous cela possible ?

— Oui, je le crois possible, et j’admets que cela soit. Concluez, Hope ; j’exige que vous vous prononciez aujourd’hui.

Hope ne répondit pas, et, dans un mouvement de colère et de douleur, il déchira son gant, qu’il tourmentait dans ses mains, et en jeta les deux morceaux par terre.

Cette manifestation irrita M. Butler, qui se leva le visage animé, la voix émue, et, avec cette expansion soudaine et irrésistible des gens qui évitent longtemps les émotions pour les retrouver plus vives et plus impérieuses quand il n’y a plus moyen de reculer : — Hope ! s’écria-t-il, je vois que vous êtes décidément un enfant gâté et un cœur égoïste. Votre sœur s’est sacrifiée à nous deux ; moi, je l’ai compris et je me le reproche. Vous, pour n’avoir pas à vous le reprocher, vous affectez de ne pas le comprendre. Eh bien ! je vous déclare que vous sentirez aujourd’hui, pour la première fois de votre vie, le blâme et l’autorité de votre père. J’interrogerai ma fille, et je vous jure que si elle aime quelqu’un, ce quelqu’un-là prendra