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reparut en marbre ; mais après la mort de Canova, son frère l’abbé envoya ce marbre à Mme Récamier, avec ces vers de Dante :

Sovra candido vel, cinta d’oliva,
Donna m’apparve[1].


et cette inscription en italien : « Portrait de Juliette Récamier, modelé de mémoire par Canova en 1813, et ensuite exécuté en marbre, sous le nom de Béatrice. »

J’ai parcouru, sans m’arrêter, bien s’en faut, devant tous, la galerie des adorateurs de Mme Récamier, et je n’ai pas encore nommé les deux hommes qui, avec le duc Matthieu de Montmorency, ont tenu, très inégalement, la plus grande place dans sa vie, et qui lui ont donné, l’un toute la sienne avec un désintéressement admirable, l’autre tout ce qu’à la fin d’une carrière bien plus brillante pourtant que traversée, il ne livrait pas à l’égoïsme amer, à l’humeur chagrine et à l’orgueil mécontent, M. Ballanche et M. de Chateaubriand.

Dans l’histoire des amitiés humaines, je n’en connais guère de plus belle, ni qui honore plus l’une et l’autre personne, que celle de Mme Récamier et de M. Ballanche. Aucun attrait, aucun motif tant soit peu mondain ne recommandait le modeste imprimeur de Lyon, je ne dis pas à l’affection, mais seulement à l’attention de la belle dame de Paris. M. Ballanche était laid, de petite condition, inconnu, habituellement silencieux et gauche, au point d’en être quelquefois embarrassant ; tous ses mérites étaient cachés sous une enveloppe disgracieuse ou étrange, et ne se révélaient que dans ses écrits ou dans la complète intimité. Mme Récamier les démêla promptement ; elle sentit qu’il y avait là un esprit élevé, une belle âme et une inépuisable puissance de dévouement aussi pur que tendre. Presque dès le premier jour où elle fit connaissance avec lui, elle traita M. Ballanche avec cette distinction intelligente et sympathique qui attire les plus sauvages et rassure les plus timides. Aussi, dès le même jour, M. Ballanche fut pris et possédé. « Il m’arrive assez souvent, lui écrivait-il, de me trouver tout étonné des bontés que vous avez pour moi ; je n’avais point lieu de m’y attendre, parce que je sais combien je suis silencieux, maussade et triste. Il faut qu’avec votre tact infini vous ayez bien compris tout le bien que vous pouviez me faire. Vous qui êtes l’indulgence et la pitié en personne, vous avez vu en moi une sorte d’exilé, et vous avez compati à cet exil du bonheur. Permettez-moi à votre égard les sentimens d’un frère pour sa sœur. J’aspire après l’instant où je pourrai vous offrir, avec ce sentiment fraternel, l’hommage du peu que je puis. Mon dévouement sera entier et sans réserve. Je voudrais votre bonheur aux dépens du mien. Il y a justice à cela, car vous valez mieux

  1. « Sous un voile blanc, couronnée d’une branche d’olivier, une femme m’apparut. »