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résultats, et presque tous adversaires déclarés ou observateurs méfians du régime impérial. Là aussi Mme Récamier eut grande faveur et fit de brillantes conquêtes, quelques-unes plus brillantes que solides, comme il arrive de beaucoup de conquêtes, et destinées même à perdre un jour leur apparent éclat. Ce fut là qu’elle connut Benjamin Constant, ce sophiste sceptique, moqueur et corrompu, qui devait avoir le triste sort de prouver lui-même, à la fin de sa vie, qu’il ne méritait pas les amitiés et les succès qu’il avait longtemps obtenus.

Ce n’est pas une des moindres singularités du caractère et de la vie de Mme Récamier que, dans toutes ces sociétés et ces opinions si diverses où elle avait tant de chauds et persévérans amis, elle ait eu aussi beaucoup de vraies et fidèles amies. Malgré les vicissitudes des situations, les animosités paniques, les rivalités d’amour-propre, même les jalousies de ménage, elle avait auprès des femmes presque autant d’attrait et de succès qu’auprès des hommes. Dans le monde napoléonien, la reine de Naples et la reine Hortense lui témoignaient une amitié pleine de coquetterie. Arrivait-elle à Naples en 1813, pendant la fortune du roi Joachim : aussitôt un page de la reine Caroline venait lui apporter les félicitations des deux souverains, leur vif désir de la voir bientôt, et une magnifique corbeille de fruits et de fleurs, « attention particulière de Mme Murat, qui se plaisait à deviner les goûts des personnes qu’elle aimait, et mettait un soin empressé à les satisfaire. » Venaient les cent jours et le bouleversement des rois et des peuples : au premier bruit de l’événement, la reine de Naples écrivait à Mme Récamier : « Si quelques circonstances que je ne désire certainement pas, mais qui peuvent peut-être arriver, vous engageaient à voyager, venez ici, mon aimable Juliette ; vous y trouverez dans tous les temps une amie sincère et bien affectionnée. » Le monde changeait de nouveau de face. La reine Caroline, à son tour détrônée et proscrite, vivait solitairement à Trieste ; Mme Récamier, voyageant de nouveau en Italie, lui écrivit de Naples même qu’elle ne voulait pas rentrer en France sans aller la voir. « En voyant la date de votre lettre, lui répondit aussitôt la reine déchue, j’ai frémi. Depuis dix ans, un pareil nom ne m’était pas parvenu, et j’évitais de me le rappeler, non par indifférence, mais par crainte de compromettre des personnes qui m’ont montré du dévouement, et qui me sont chères. Jugez donc de ma joie lorsque j’ai reconnu l’écriture de mon aimable Juliette. C’était le jour de ma fête, à mon réveil, que votre lettre m’est parvenue, et certes aucun bouquet ne pouvait être reçu avec plus de plaisir que les expressions de votre bonne amitié. Vous avez donc pensé à moi ! » Avec moins d’abandon et de vivacité, la reine Hortense, dans sa