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Un nouvel observatoire fut établi au sommet d’une légère colline qui domine tout le pays voisin, et on y transporta avec les anciens instrumens le nouveau télescope, dont la perfection fut bientôt mise à l’épreuve. M. Bond s’en servit en premier lieu pour étudier les nébuleuses d’Andromède et d’Orion, qui ont été en quelque sorte les derniers retranchemens de l’ancienne théorie des nébuleuses. On avait admis qu’il existe dans l’espace une matière diffuse, nébuleuse, qui se condense progressivement en soleils et en planètes ; mais d’année en année on vit un plus grand nombre des nébuleuses célestes se diviser dans le champ des télescopes, ou, comme on dit dans la langue astronomique, se résoudre en étoiles distinctes et séparées. On ne put pendant longtemps reconnaître de points isolés dans les nébuleuses d’Orion et d’Andromède. Quand lord Rosse lui-même dirigea son télescope monstre, dont le miroir a jusqu’à six pieds de diamètre, sur Orion, il n’y aperçut d’abord rien : ce n’est que plus tard qu’il vit dans le trapèze et aussi dans le reste de la nébuleuse une masse d’étoiles, et constata tous les signes de la résolution. Ce que l’instrument sans pareil de lord Rosse avait permis d’apercevoir fut confirmé par M. Bond : non-seulement il distingua les étoiles de la partie qu’on nomme le trapèze, mais il vit toute la nébulosité voisine du trapèze se décomposer en un amas stellaire.

L’admirable télescope de Cambridge fut ensuite appliqué à l’étude détaillée de la planète Saturne : M. Bond recueillit sur ce singulier corps céleste des observations d’une importance capitale, qui sont réunies dans un volume des annales de l’observatoire astronomique de Harvard College. On sait que l’anneau de Saturne fut aperçu pour la première fois par Galilée : si les anciens en avaient connu l’existence, on peut présumer que ce phénomène sans pareil eût exercé vivement leur imagination et fourni de gracieux symboles à leur mythologie. Galilée n’aperçut pas l’anneau avec netteté, il ne vit que les extrémités de ce qu’on appelle les deux anses, et les prit pour deux petites étoiles voisines de la planète. « Ce sont, écrivait-il dans son langage coloré, deux serviteurs qui aident le vieux Saturne à faire son chemin et restent toujours à ses côtés. » Depuis ce moment, Saturne n’a pas cessé de mettre à la torture l’esprit des astronomes. Galilée lui-même, voyant disparaître les deux anses, sans doute à cause du mouvement de l’anneau qui se dérobait graduellement en présentant une section de plus en plus mince, cessa par dépit de s’en occuper. Le même phénomène révéla au contraire à Huyghens, en 1659, le secret de Saturne. Huyghens comprit qu’on ne pouvait s’expliquer la disparition des anses qu’en supposant Saturne enveloppé d’un anneau lumineux, sorte d’équateur extérieur qui se présente à l’observateur terrestre comme une ellipse très