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ne fournissent à l’Allemagne des occasions semblables : au lieu de lui parler d’unité, ils ne lui rappellent que les divisions qui ont entravé dans la confédération le développement d’une vie nationale. C’est le privilège et l’honneur de la philosophie, de la science et surtout de la poésie allemandes, d’avoir appris, pour ainsi dire, aux peuplades germaniques qu’elles sont une nation, et qu’à ce titre elles peuvent et elles doivent entrer dans les compétitions intellectuelles et politiques de la société européenne avec la mission, l’initiative, le rang et la puissance d’un grand peuple. La fête célébrée en l’honneur de Schiller prouve que la révélation qui lui a été apportée par ses philosophes et ses poètes est vivante au cœur de l’Allemagne, et Schiller n’eût pas compté comme la moindre des gloires auxquelles il aspirait la puissance de ralliement qui vient d’être reconnue à son nom. Les politiques ne voient que le côté le plus vulgaire des choses, lorsqu’ils disent que Schiller n’est qu’un prétexte à des manifestations tumultueuses. Ils assurent que la démocratie pénètre et mène l’agitation qui s’est faite à l’occasion de ce jubilé. Les gouvernemens le savent, ajoutent-ils ; c’est volontairement qu’ils ferment les yeux et les oreilles. Le prétexte est trop national et trop plausible pour qu’il fût prudent de mettre obstacle à ces démonstrations, tant qu’elles ne dégénéraient point en désordres publics. On se console par la pensée que ces fêtes sont une soupape de sûreté par laquelle s’échappe le sentiment populaire, et l’on se résigne à ce qu’on ne pourrait empêcher sans imprudence et sans péril. Nous croyons en effet, quant à nous, que les sentimens politiques ont eu grande part dans cette fête nationale ; mais si la démocratie allemande a seule le droit de répondre à ces aspirations patriotiques, si les gloires les plus pures et les plus populaires lui appartiennent si bien qu’elle peut, en les évoquant, faire battre tous les cœurs à l’unisson et contraindre les cabinets et la politique officielle à dissimuler leurs défiances et leur mauvais vouloir, à capituler prudemment devant le sentiment national, il faut convenir que l’événement du jubilé de Schiller est d’un bon augure pour elle, et il faut constater qu’elle vient d’obtenir un succès qui doit retentir dans les progrès libéraux de l’Allemagne. Tout au moins y a-t-il là une compensation aux mécomptes qui ont jusqu’à présent paralysé les efforts de l’association récemment formée pour la révision de la constitution fédérale.

Cette association, qui avait paru se mettre à l’œuvre de si grand cœur, n’a rien produit encore. Quelles sont les causes de cette immobilité, sinon de cette retraite des meneurs du mouvement réformiste ? Il ne faut point les chercher dans le refus que les autorités de Francfort ont opposé à la demande des chefs de l’association allemande, qui voulaient établir dans cette ville libre le siège de leur propagande. L’organisation de l’association en a été tout au plus retardée, puisqu’elle a trouvé un asile dans les états du duc Ernest de Saxe-Cobourg. C’est dans les difficultés pratiques de son entreprise que l’association a rencontré les obstacles qui l’ont arrêtée. Parmi ces difficultés, la plus grande est de définir avec précision l’étendue et la portée de la réforme. Il n’a pas été possible aux promoteurs de s’entendre sur ce point. Les programmes de Hanovre et d’Eisenach indiquaient dans l’hégémonie de la Prusse les garanties d’unité d’action poursuivies dans la réforme du pacte fédéral. Cette tendance en tout temps aurait soulevé des objections énergiques